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même, une grande partie des hommes l’ignore. Hors des peuples chrétiens, on chercherait vainement l’idée d’un Dieu unique et universel. Au sein même du christianisme, avec quelle peine elle pénètre dans le peuple ? Supprimez un instant la tradition et l’enseignement chrétiens, et vous verrez ce que deviendra parmi les hommes le dogme d’un dieu spirituel, leur père commun.

J’en dis autant pour la morale : l’idée de la fraternité humaine est une idée chrétienne. Les stoïciens, il est vrai, s’étaient élevés jusque-là, comme Platon, avant Jésus-Christ, avait atteint jusqu’au Dieu inconnu, au Dieu en esprit et en vérité de l’Évangile ; mais le christianisme seul a fait connaître à tout le genre humain le dogme de la charité universelle, et j’ose affirmer que, si les habitudes et les traditions chrétiennes pouvaient être aujourd’hui supprimées, les idées locales prévaudraient et le sentiment de la fraternité humaine s’évanouirait dans les ames.

Quoi de plus naturel pourtant, quoi de plus raisonnable que de croire à un Dieu unique qui a fait tous les hommes frères ? Oui, cela est naturel et raisonnable, c’est-à-dire cela est conforme aux inspirations de la nature et de la raison ; mais ces nobles instincts resteraient étouffés en nous sans une culture assidue et régulière. Cette culture, c’est la civilisation qui la donne ; les deux forces que la civilisation emploie à ce grand ouvrage, ce sont la religion et la philosophie. Ôtez la religion et la philosophie, vous ôtez les arts et la poésie, vous ôtez même les institutions civiles et politiques, en un mot vous ôtez la civilisation ; il reste sans doute les germes de tout cela, mais ces germes périssent avant d’éclore

Pour ne parler en ce moment que des religions, il est incontestable qu’elles ont rempli et remplissent encore aujourd’hui dans le monde une action civilisatrice. Qu’est-ce qui a fait la grandeur de la race juive, si ce n’est la loi de Moïse ? Où est la source de la vitalité indomptable de cette race que ni Babylone, ni la Grèce, ni Rome n’ont pu détruire, que vingt siècles de persécutions n’ont pas encore épuisée, si ce n’est dans la forte religion que Moïse recueillait au Sinaï sous la dictée de ce Jéhovah, dont la voix gronde encore comme un écho lointain dans le terrible et sombre Dieu du juif Baruch Spinoza ? Quel est le monument où la civilisation juive avec sa poésie, ses institutions, son histoire, ses mœurs, est gravée en caractères durables ? C’est un monument religieux, la Bible. À qui la race arabe doit-elle son réveil, sa grandeur, ses destinées merveilleuses ? Au père de sa religion, à Mahomet. Qui a donné à la Grèce ses arts, sa littérature, sa