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liberté, sa philosophie, sinon la religion d’Orphée ? Que seraient, séparés de la religion grecque, Homère, Phidias, Sophocle ? Platon lui-même en serait diminué[1].

Combien la philosophie des religions du xviiie siècle paraîtra plus fausse encore si nous parlons du christianisme ? Quel homme sérieux conteste aujourd’hui que le christianisme ait civilisé le monde moderne ? Qu’était-ce du temps de Clovis et Charlemagne que la religion naturelle ? Cherchez-en les principes parmi ces races, ces hordes barbares qui se pressaient sur le sol de l’Europe ? Qui est-ce qui parlait alors aux hommes d’un Dieu spirituel, juste et bon, d’une ame libre et immortelle, de charité et d’amour ? Était-ce le christianisme ou cette fantastique religion de la nature rêvée par la philosophie du xviiie siècle ?

Le xviiie siècle ne s’est pas connu ; il a maudit le christianisme, et il en est le fils légitime. Toutes ces idées épurées sur Dieu et sa providence, ces principes d’humanité, de justice universelle, que le xviiie siècle a si glorieusement appliqués à la réforme de la société moderne, de qui les avait-il hérités ? De deux puissances qu’il a presque également méconnues, le christianisme d’abord, et la philosophie du xviie siècle, la philosophie de Descartes et de Leibnitz. Si étrange que puisse paraître au premier abord ce résultat, il est certain que la religion naturelle telle que le xviiie siècle l’a conçue, la religion naturelle au nom de laquelle il a combattu le christianisme et les systèmes philosophiques, cette même religion naturelle est un produit du christianisme. Expliquons ce rapport curieux de filiation avec l’étendue convenable.

L’homme naît avec deux besoins, distincts à la fois et inséparables, le besoin moral et le besoin religieux. Être libre, il sent qu’il existe une loi qui doit régler sa volonté ; être capable d’intelligence et d’amour, il faut un objet infini à son esprit et à son cœur. Tout être humain a donc l’instinct du bien et l’instinct de l’infini, en un mot, l’instinct du divin ; c’est l’honneur de l’espèce humaine. Tout être qui peut vivre sans la foi au divin ou qui a étouffé cette foi sublime n’appartient pas à l’humanité.

L’instinct moral et religieux, l’instinct du divin, voilà ce qu’il y a de primordial dans l’homme, ce qui est antérieur et supérieur à toute religion et à toute philosophie, ce qui devient l’aliment et le fondement de toute croyance religieuse et de toute spéculation philosophique. Cela seul est commun à tous les hommes, sauvages ou civilisés, anciens ou modernes, de race caucasienne ou sémitique ; cela seul constitue l’unité du genre humain.

  1. Voyez le grand ouvrage de Creuzer, si savamment refondu par M. Guigniaut.