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qui a été ma nourrice, lui dit-elle par un ingénieux mensonge, et elle m’a appris, tout enfant, à bien parler ta langue. » Anchise, au premier regard, est pris du désir, et il lui répond : « S’il est bien vrai que tu sois une mortelle, que tu aies une femme pour mère, et qu’Otrée soit ton illustre père, comme tu le dis, si tu viens à moi par ordre de l’immortel messager, Mercure, et si tu dois être à jamais appelée du nom de mon épouse, dans ce cas, nul des mortels ni des Dieux ne saurait m’empêcher ici de te parler d’amour à l’instant même ; non, quand Apollon, le grand archer en personne, au-devant de moi, me lancerait de son arc d’argent ses flèches gémissantes : même à ce prix, je voudrais, ô femme pareille aux déesses, toucher du pied ta couche, dussé-je n’en sortir que pour être plongé dans la demeure sombre de Pluton ! »

Cette naïveté de vœu en rappelle directement un autre bien orageux aussi, bien audacieux, et moins simple dans sa sublimité, celui d’Atala lorsque, découvrant son cœur à Chactas, elle s’écrie : « Quel dessein n’ai-je point rêvé ! quel songe n’est point sorti de ce cœur si triste ! Quelquefois, en attachant mes yeux sur toi, j’allais jusqu’à former des désirs aussi insensés que coupables : tantôt j’aurais voulu être avec toi la seule créature vivante sur la terre ; tantôt, sentant une divinité qui m’arrêtait dans mes horribles transports, j’aurais désiré que cette divinité se fût anéantie pourvu que, serrée dans tes bras, j’eusse roulé d’abîmes en abîmes avec les débris de Dieu et du monde !… »

Or, pour revenir à Louise Labé, qui ne se reprochait point, comme Atala, ses transports, et qui, en fille plutôt payenne de la renaissance, n’a pas craint de s’y livrer, elle se rapproche avec grace de la naïveté du vœu antique dans son sonnet XIII, qui commence par ces mots :

Oh ! si j’estois en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant,
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empeschoit Envie…


et qui finit par ce vers :

Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse !


Je suis obligé, bien qu’à regret, d’y renvoyer le lecteur curieux, pour ne pas trop abonder ici en ces sortes d’images ; mais j’oserai citer au long le sonnet XIV, admirable de sensibilité, et qui fléchirait les plus sévères ; à lui seul, il resterait la couronne immortelle de Louise :