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par une édifiante correspondance avec sa sœur qui était religieuse à Béziers, Fléchier ne cessa de professer toute sa vie les sentimens les plus catholiques. Dans ses Mémoires même, on en a la preuve : il y rapporte naïvement ses dévotions et ses sermons, il raconte sans étalage comment il disait ses prières, comment il consacrait toute la matinée du jour des Morts à penser pieusement aux amis qu’il avait perdus. De son temps, personne ne s’avisa d’élever le moindre doute sur son absolue sincérité religieuse, et Saint-Simon, ce juge sévère, a pu dire de lui dans une phrase qui veut être citée, parce qu’elle est un honneur « Il mourut célèbre par son savoir, par ses ouvrages, par ses mœurs, par une vie très épiscopale. Quoique très vieux, il fut fort regretté et pleuré de tout le Languedoc. » Oui, Fléchier croyait, mais il sut montrer que la tolérance et la raison chez un prêtre ne sont pas incompatibles avec la foi. Devenu évêque, il osa faire une guerre acharnée à toutes les pratiques superstitieuses ; c’est lui qui traitait de pieuse mascarade et de nouvelle espèce de folie une confrérie de pénitens blancs qu’on voulait établir dans son diocèse ; c’est lui qui, à propos d’une croix miraculeuse, protestait, dans une lettre pastorale, contre « ceux qui mettent leur confiance en du bois et en des prodiges menteurs. » Le bon sens, à ce qu’il parait, n’exclut pas la charité autant qu’on le pourrait croire : c’est bien à ce tendre prélat qu’il appartenait de mourir endetté au profit des hôpitaux ; c’est bien à lui que revenait, dans les dragonnades religieuses du midi, ce rôle de doux conciliateur auquel il ne fit pas un instant défaut. Il y a dans ses lettres[1] une phrase qui me frappe et qui fut comme le programme de toute sa vie épiscopale : « La violence et l’oppression ne sont pas les voies que l’Évangile nous a marquées. » Pour l’aimable douceur, l’excellent Fléchier a sa place désignée à côté et peut-être même au-dessus de Fénelon.

Nous n’avions à chercher dans les Mémoires sur les Grands-Jours que la peinture même de l’homme ; les historiens, je le répète, y trouveront des faits du plus haut intérêt qui constatent l’effroyable désordre dans lequel était encore l’administration de la justice en certaines provinces, et qui montrent combien l’œuvre de l’unité monarchique était encore loin de sa fin. Dans les pages les plus sanglantes de l’histoire de Corse, il n’y a rien de comparable aux féroces vengeances, aux odieuses exactions de ces gentilshommes indomptés de l’Auvergne, sur lesquels la justice exceptionnelle des Grands-Jours

  1. Lettre à M. Viguier, du 14 décembre 1682.