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pénétrer dans les esprits sous les apparences de la philosophie, et vos maîtres, ô Italiens ! vous humilier d’abord par la terreur, puis par le pardon que vous acceptiez en applaudissant, tandis que quelques-uns d’entre vous descendaient à des bassesses et à des adulations méprisées. J’ai vu davantage et je me tais, par pudeur, devant l’étranger… M. Mazzini ajoute qu’il a écrit parce qu’il croyait, et qu’il écrit encore parce qu’il est prêt à donner sa vie pour sa croyance.

Désormais les théories des républicains de 1830 ont cessé d’être redoutables. On a reconnu en France qu’il ne suffit pas de rogner une liste civile pour que les classes pauvres se trouvent soulagées du corps ; on s’est convaincu que les masses ne se laissent pas entraîner au seul nom de république, d’une république qui imposerait la guerre et par conséquent un redoublement d’impôts. De là les nombreux déserteurs du parti républicain. Les uns ont abordé la discussion constitutionnelle, les autres se sont jetés dans les théories aventureuses du socialisme. M. Mazzini, qui n’est ni communiste, ni socialiste, ni constitutionnel, qui reste toujours républicain, et revient sans cesse au programme de la jeune Italie, croit s’apercevoir enfin qu’il faut refaire le peuple italien si on veut l’appeler à la liberté, qu’il faut exiger la vertu et presque le martyre des chefs révolutionnaires, qu’il faut différer le combat en se condamnant à une douloureuse abnégation. De là sa tristesse, qui peu à peu remplace son ardeur ; de là ses efforts pour moraliser la classe des ouvriers, de là ses récriminations injustes contre les chefs naturels de l’éducation nationale, je veux dire les écrivains de l’Italie. « Vous avez suivi, dit-il, depuis long-temps cette vieille maxime d’après laquelle la république des lettres est séparée de la république civile, et cette maxime, appuyée par les princes, les jésuites, les académies, vous a éloignés du peuple. Vous avez été prosateurs, versificateurs, érudits, pédans et jamais citoyens ; votre langue, quand elle n’est pas impudemment lombarde ou toscane, est factice ; c’est une langue de lettrés, et notre public se réduit à un public de lettrés. Le jour où l’on vous contesta la liberté de la pensée, c’était à vous de lutter par la parole, par les écrits, par les conspirations, dont le mot seul vous fait frissonner, par les conspirations, folles et ruineuses là où les voies légales sont ouvertes au progrès, mais saintes et nécessaires là où toutes les voies sont fermées. Il fallait lutter au moins par le silence, le silence de Thraséas, le silence absolu, le silence de l’homme qui ne veut pas profaner la vérité en la mutilant.

Tandis que M. Mazzini lutte contre une foule découragée, on voit que d’un autre côté il est aux prises avec une nouvelle génération de