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le monument comme un éternel flambeau ; les roses, les violettes, les vignes, les oliviers, voilà nos symboles funèbres, notre cimetière fait envie aux vivans ! Pauvres cadavres que nous sommes, laissons dire, et l’heure de la résurrection sonnera !

Tandis que l’anonyme toscan dirige ses satires contre le parti guelfe et le parti gibelin, M. Nicolini les combat par l’invective tragique de son Arnaldo da Brescia[1]. Arnaldo est le grand agitateur du XIe siècle en Italie ; ennemi de la puissance temporelle des papes, défenseur des républiques italiennes, il était brûlé à Rome au moment d’une trêve entre Adrien IV et Frédéric Barberousse. C’est là le héros de M. Nicolini. Ne demandez pas au poète de Florence cette poésie mythique que rappelle le nom seul de Barberousse ; le héros allemand, en touchant le sol italien, devient homme ; ses invincibles armées de la légende sont vaincues à Legnano ; son expédition en Orient est une faute politique, ses compagnons d’armes sont des barbares : Barberousse n’est plus le demi-dieu des traditions septentrionales, c’est le personnage odieux nargué par les villes lombardes et joué par un pape. Ne demandez pas non plus à M. Nicolini le sentiment des anciens temps, ne cherchez pas dans son drame les hommes du moyen-âge ; son empereur, ses princes de l’empire, ses moines, son pontife, tous ses personnages pensent comme nous et parlent notre langage. La Romagne est opprimée par le système austro-guelfe, voilà la donnée de M. Nicolini ; cette donnée, il la transporte dans un épisode du XIe siècle, et le supplice d’Arnaldo offre le symbole dramatique du sacrifice de l’Italie. Le poète de Florence reste fidèle aux traditions classiques ; pour marcher droit sur l’ennemi, ne fallait-il pas recourir à l’injure héroïque ?

La scène s’ouvre à Rome, le peuple et l’aristocratie sont en présence ; déjà la lutte est presque engagée ; le peuple meurt de faim, et l’impudente richesse des cardinaux insulte à la misère des basses classes. Arnaldo se met à la tête du peuple ; Adrien IV, qu’on vient d’élire, est le chef du parti guelfe. Cependant Frédéric Barberousse approche de Rome. Au second acte, le pontife veut gagner le moine à sa cause ; Arnaldo résiste, ses partisans attaquent les guelfes, un cardinal tombe assassiné, et l’acte se termine par une belle scène où le clergé lance l’anathème contre le peuple. L’anathème disperse l’émeute, la confession révèle les coupables, une série d’épisodes étale aux yeux du spectateur toutes les ressources de la police pontificale,

  1. Arnaldo da Brescia, tragedia, di G. B. Nicolini ; 1843.