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tout impartiales, toutes tempérées d’élémens rassis, que se prend ainsi la flamme.

Quoi qu’il en soit des circonstances passagères, cette histoire, qui, à partir de son troisième volume, forme un tout si animé, si consistant, ne saurait s’effacer désormais ni s’abolir ; elle aura laissé dans la mémoire française de belles traces, des portions lumineuses, des expositions financières, militaires, données pour la première fois, et aussi des mouvemens qui seront toujours cités comme exemples d’une inspiration patriotique bien pure, d’une naturelle et bien vive éloquence. Je n’en sais pas de plus mémorable élan que l’espèce d’épilogue qui termine le huitième volume, et qui couronne le récit des victoires toutes républicaines de la première campagne d’Italie. On ne nous saura pas mauvais gré de représenter ici la noble page tout entière


« Jours à jamais célèbres et à jamais regrettables pour nous ! s’écrie l’historien, dont le ton s’élève un moment jusqu’à l’hymne ; à quelle époque notre patrie fut-elle plus belle et plus grande ? Les orages de la révolution paraissaient calmés ; les murmures des partis retentissaient comme les derniers bruits de la tempête : on regardait ces restes d’agitation comme la vie même d’un état libre. Le commerce et les finances sortaient d’une crise épouvantable ; le sol entier, restitué à des mains industrieuses, allait être fécondé. Un gouvernement, composé de bourgeois, nos égaux, régissait la république avec modération ; les meilleurs étaient appelés à leur succéder. Toutes les voix étaient libres. La France, au comble de la puissance, était maîtresse de tout le sol qui s’étend du Rhin aux Pyrénées, de la mer aux Alpes. La Hollande, l’Espagne, allaient unir leurs vaisseaux aux siens et attaquer de concert le despotisme maritime. Elle était resplendissante d’une gloire immortelle. D’admirables armées faisaient flotter ses trois couleurs à la face des rois qui avaient voulu l’anéantir. Vingt héros, divers de caractère et de talent, pareils seulement par l’âge et le courage, conduisaient ses soldats à la victoire : Hoche, Kléber, Desaix, Moreau, Joubert, Masséna, Bonaparte, et une foule d’autres, s’avançaient ensemble. On pesait leurs mérites divers ; mais aucun œil encore, si perçant qu’il pût, être, ne voyait dans cette génération de héros les malheureux et les coupables ; aucun œil ne voyait celui qui allait expirer à la fleur de l’âge, atteint d’un mal inconnu, celui qui mourrait sous le poignard musulman ou sous le feu ennemi, celui qui opprimerait la liberté, celui qui trahirait sa patrie ; tous paraissaient grands, purs, heureux, pleins d’avenir ! Ce ne fut là qu’un moment ; mais il n’y a que des momens dans la vie des peuples, comme dans celle des individus. Nous allions retrouver l’opulence avec le repos ; quant à la liberté et à la gloire, nous les avions !… Il faut, a dit un ancien, que la patrie soit, non-seulement heureuse, mais suffisamment glorieuse. Ce vœu était accompli. Français qui