Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que des courans perfides emportaient vers des solitudes sans issues les navires imprudens. Les feux de la zone torride changeaient en nègres les blancs qui s’aventuraient dans ces parages ; enfin la constante direction des vents embrasés qui soufflaient du désert enlevait tout espoir de retour. Ce n’est pas à nous de sourire aux craintes puériles de nos pères ; bien que mal fondées, leurs frayeurs étaient sincères, et nous devons admirer ces intrépides chevaliers qui, sûrs de mourir, disaient adieu à leur patrie, et s’en allaient braver, sur leurs misérables chaloupes, les dangers d’une navigation lointaine dans des parages ignorés. N’oublions pas qu’aujourd’hui encore les meilleurs marins n’affrontent point sans quelque souci les dangers de ces mers, où ils ont cependant pour les guider les précieuses notions de la science moderne.

Dom Henri ne se découragea pas du mauvais succès d’une première tentative ; insensible aux clameurs de la foule, aux murmures d’un clergé ignorant, il expédia vers l’Afrique Gonçalvez-Zarco et Tristan-Vaz, gentilshommes de sa maison. Une tempête les porta aux Canaries et leur fit découvrir Porto-Santo, dont ils prirent possession. En 1432, Gil-Éanez s’approcha du Bojador. Ses équipages mutinés refusèrent d’avancer. Le célèbre aventurier remit à la voile l’année suivante. Cette fois, le cap redouté fut doublé, et ses navires triomphans revinrent à Lisbonne, chargés de poudre d’or et de morphil. Dès-lors le charme était rompu ; de nouveaux armemens se succédèrent. En 1440, les Portugais dépassèrent le cap Blanc, Fernandès vit le Sénégal et reconnut le cap Vert. Après lui, Tristan pénétra dans le Rio-Grande, et ses compagnons poussèrent jusqu’en Guinée. Alors aussi le pillage, le massacre, vinrent épouvanter les tranquilles populations africaines, qui avaient fait preuve des sentimens les plus bienveillans à l’égard des Portugais. Au lieu de fonder des comptoirs et d’accoutumer les peuplades aux échanges de leurs produits contre ceux d’Europe, les capitaines descendaient en armes sur les côtes et saisissaient les nègres, qu’ils conduisaient aux Canaries, où la culture des terres vierges, le défrichement des bois, exténuaient les colons. L’esclavage et la traite suivirent de près, on le voit, la découverte de l’Afrique occidentale. Dom Henri attendit en vain la réalisation de ses saints rêves. En revanche, il put mourir avec la consolante pensée que son pays, sous ses auspices, venait de jeter les fondemens d’une puissance maritime et commerciale alors sans rivale.

Les historiens portugais, en retraçant les expéditions de ces hardis navigateurs, laissent éclater une vive admiration. Toutes les ames énergiques comprendront et partageront cet enthousiasme ; cependant on doit regretter que ces historiens n’aient pas dit entièrement la vérité, ou qu’ils ne l’aient pas connue. Si les chroniques de Lisbonne gardent le silence sur les premiers voyages des Européens au Sénégal, les écrivains français n’ont pas les mêmes raisons de se taire. C’est à eux qu’il appartient de, compléter des renseignemens des Portugais, en rappelant que les premières expéditions