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nous apprécierons sincèrement la position singulière d’une colonie où la civilisation européenne a laissé jusqu’ici de si faibles traces.

S’il faut en croire les chroniques de Lisbonne, qui montrent les Portugais abordant les premiers à la côte occidentale d’Afrique, la haine des infidèles, la défense de la foi chrétienne, auraient été les seuls motifs des pieuses expéditions dirigées vers ces parages. Sans trop contester à ces entreprises le mobile du sentiment religieux, on doit avouer que les austères marins se laissèrent bien vite tenter par les séductions du voyage. En voyant de riantes contrées s’ouvrir à leurs regards, les navigateurs oublièrent aussitôt les saints lieux et la cause qu’ils venaient défendre. La découverte d’immenses royaumes et de rivières qui roulaient des paillettes d’or sur des rives chargées d’épices et de parfums créa, pour les Portugais, des intérêts nouveaux devant lesquels s’évanouit la pensée d’un stérile pèlerinage. Les vues encore indécises de la cour, au sujet des expéditions maritimes, furent subitement fixées : les guerriers se firent matelots et trafiquans. L’histoire de l’infant dom Henri résume avec éclat cette période brillante, d’où le Portugal sortit transformé. Ce prince, le plus grand homme du XVe siècle, fit d’une chétive lisière de côtes, grande comme une province de Castille, un état qui, pendant deux cents ans, joua un rôle considérable en Europe. C’est à l’impulsion de ce génie, précurseur de Colomb, qu’obéirent les aventuriers portugais qui se hasardèrent vers les côtes occidentales d’Afrique.

Après avoir enlevé Ceuta aux Maures, dom Henri résolut de doubler la côte ouest d’Afrique, dont l’exploration, d’après les idées de son siècle, devait le conduire au centre des possessions musulmanes d’Égypte et de Syrie. Croyant, comme tous les savans de son temps, que le continent africain se bornait à la partie de terres connue des anciens, il espéra rejoindre les derniers débris de la chrétienté orientale, ou du moins faire une utile diversion en leur faveur. Aidé de ses chevaliers, il fit vœu de découvrir cette route mystérieuse des Indes, que désignaient aux navigateurs d’obscures histoires et de vieilles traditions. Depuis long-temps, du reste, l’attente de grandes découvertes et d’un monde inconnu occupait vaguement les esprits élevés. Les rêves des philosophes grecs, les notions géographiques d’Hérodote, l’Atlantide perdue des poètes, avaient soulevé un coin du voile qui couvrait la terre, et plus d’un regard inspiré, interrogeant l’espace, avait pu deviner les secrets de la création.

La première expédition maritime des Portugais, dirigée vers l’Afrique occidentale, eut lieu en 1418 ; elle doubla le cap Nun, terme de la navigation ordinaire ; mais, dès que les matelots virent poindre au large le cap Bojador couronné de vapeurs ardentes, ils perdirent courage et n’osèrent avancer. Ce promontoire, entouré des sables étincelans du Sahara, était pour les novices marins d’autrefois une barrière infranchissable. Là, comme plus tard au fameux cap du Sud, on croyait voir la sinistre entrée d’un sanctuaire que nul n’avait impunément violé. Des histoires lugubres racontaient