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traitans ; ce sont en général des entrepreneurs agissant pour leur propre compte, qui, avant l’ouverture de la traite, achètent aux négocians un certain nombre de pièces de guinée, et s’engagent à leur livrer, en retour, une quantité déterminée de gomme. Dans un pays où le commerce se fait en nature, la pièce de guinée et la livre de gomme remplacent à Saint-Louis et aux escales les signes monétaires, qui n’ont aucune valeur chez les Maures et chez les noirs. Les guinées fabriquées à Pondichéry sont réservées, par une surtaxe de cinq francs la pièce, à la navigation nationale, qui ne peut toutefois les transporter directement en Afrique. Les manufactures de Rouen avaient essayé d’approvisionner le Sénégal de guinées ; mais, si les tissus français sont supérieurs aux produits indiens, le prix en est resté trop élevé pour qu’ils puissent entrer en parallèle, sur les marchés de la colonie, avec les guinées étrangères : la compagnie de Galam les emploie cependant comme présens à distribuer aux princes maures et aux marabouts. Les traitans sont tous habitans indigènes de Saint-Louis ; ils parlent la langue des Maures, et ont acquis sur eux quelque influence. Entrepreneurs ou simples mandataires, les traitans ont toujours donné les preuves de la loyauté la plus parfaite dans leurs rapports avec les Européens ; mais une ardente jalousie, ce sentiment de vanité si remarquable chez les nègres, les pousse quelquefois à compromettre les intérêts qui leur sont confiés. Tous, pour augmenter leur crédit et leur importance à Saint-Louis, exagèrent auprès des blancs l’importance des relations qu’ils entretiennent avec les Maures et de la clientelle réelle qu’ils ont aux escales ; ils surchargent ainsi leurs navires de pièces de guinée, dont le débit n’est jamais assuré. La crainte de ne pas entreprendre d’affaires et de se voir raillés par leurs rivaux les excite souvent à céder pour un prix inférieur au prix d’achat les marchandises des négocians envers lesquels ils contractent de lourdes dettes. Enfin, le désir de se procurer des gommes les entraîne à commettre des fraudes à l’égard des Maures, et, quoique ces derniers soient loin de donner l’exemple de la bonne foi, la morale et la politique même ne sauraient admettre ces tristes représailles, dont les moindres conséquences sont de nuire au commerce français et à l’influence de la mère-patrie. Le caractère des traitans, leurs rivalités, leur amour-propre ridicule, sont les causes principales qui, après avoir exercé une fâcheuse action sur la prospérité générale, ont peu à peu conduit la colonie à réclamer les mesures spéciales sur l’opportunité desquelles le gouvernement a dû définitivement statuer.

Après l’abandon complet des cultures en 1830 et jusqu’à la fin de 1831, la traite des gommes prit, nous l’avons dit, un grand accroissement. Jusqu’en 1838, on hésita entre le régime de l’association, du compromis et de la libre concurrence : ces trois régimes veulent être nettement définis. Nous n’avons pas besoin d’expliquer ici ce qu’il faut entendre par libre concurrence ; nous ne parlerons que du compromis et de l’association. Par le compromis, les traitans, pour remédier aux excès de la concurrence, fixaient entre eux le