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luisantes : lui-même, dans la quatrième salle, il attend, grave et silencieux, que l’heure du combat soit venue. Alors il criera de sa voix retentissante : A cheval ! à cheval ! Les trompettes sonneront, les épées brilleront, les chevaux henniront, et l’empereur ira châtier les bandits qui ont assassiné au fond d’une basse-cour la noble fille du roi, la belle Germania aux cheveux d’or. M. Heine excelle dans ces vieilles légendes, les refrains d’autrefois s’adaptent sans pastiche à des vers très habilement appropriés, et ces contes de bonne femme deviennent entre ses mains de petits chefs-d’œuvre de grace et de fantaisie. Tout en songeant de la sorte aux histoires de sa nourrice, le voyageur, doucement bercé, s’endort, et vous pensez bien qu’il va retrouver Barberousse dans son rêve. Seulement, l’empereur n’est pas assis sur sa chaise de pierre, et n’a point cet air auguste et vénérable que lui donne la légende. Le poète et l’empereur se promènent familièrement dans les grandes salles, causant, discutant, et Barberousse montre à son hôte tous ses trésors, toutes ses curiosités, avec le naïf enthousiasme d’un antiquaire. Ici, ce sont des armes magnifiques ; puis, voici les chevaliers : ils dorment, mais tous sont là, et pas un ne manquerait à l’appel. Ce sont les chevaux qui manquent. L’empereur en a fait chercher par toute la terre ; on les attend d’un jour à l’autre ; quand le nombre sera complet, alors seulement il sortira de sa caverne et commencera la bataille. « Eh ! lui dit M. Heine, pourquoi attendre ainsi ? S’il vous manque des chevaux, montez sur des ânes ; mais, pour Dieu ! ne tardez pas davantage. — Patience ! répond en souriant le vieil empereur ; Rome n’a pas été construite en un jour, et chi va piano va sano. » L’entretien est familier, comme on voit. M. Heine a voulu préparer et amener peu à peu toutes les irrévérences qui vont suivre. L’empereur, les mains derrière le dos, se promène toujours de long en large avec son hôte, comme ferait un roi constitutionnel ; il lui demande avidement des nouvelles, car depuis la guerre de sept ans il n’a rien su de ce qui se passe dans le monde. Qu’est devenu le roi de France Louis XV ? Qu’est devenue la Dubarry ? — La Dubarry, répond l’autre avec une gravité imperturbable, a vécu fort en joie pendant le règne de Louis XV, et elle était déjà très âgée quand on la guillotina. Louis XV est mort tranquillement dans son lit, mais son successeur Louis XVI a été guillotiné avec la reine Antoinette. La reine montra un grand courage, comme il convenait à son rang, mais la Dubarry pleurait et criait lâchement devant la guillotine. — Pour l’amour de Dieu ! quel langage parlez-vous, s’écrie Barberousse, et que signifient ces termes inconnus ? Alors le poète lui