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ressource que le sentiment même de son impuissance, et celui de la nécessité d’un secours surnaturel. Ce secours surnaturel, c’est la grace, et non pas cette grace universelle qui a été donnée à tous les hommes, et qui si souvent est convaincue d’insuffisance, mais cette grace particulière et choisie qui, pour être vraiment suffisante, doit être efficace par elle-même, c’est-à-dire irrésistible[1]. Elle opère en nous en étouffant la lumière naturelle sous la lumière incréée, et en mettant ses impressions victorieuses à la place des langueurs de notre volonté. C’est elle qui nous fait penser et agir, ou plutôt c’est elle qui pense et agit en nous : elle suscite la pensée de l’action, elle inspire la force qui l’exécute, et nos œuvres sont ses œuvres.

Tel est le système janséniste, mêlé de vérité et d’erreur. Par son côté vrai, c’est la doctrine catholique, qui n’est point ici en cause ; par son côté faux, ce n’est qu’une théorie particulière qui tombe sous notre examen. Port-Royal est un grand parti dans l’église ; mais, après tout, ce n’est qu’un parti, ce n’est point l’église elle-même, car l’église l’a condamné.

Ce qu’il y a d’essentiellement faux dans la grace janséniste, c’est qu’elle ôte toute vertu à la lumière naturelle, comme toute efficacité à la volonté. La grace chrétienne ajoute ses lumières et ses impressions vivifiantes à la raison et à la liberté humaine : elle les épure et les fortifie, elle ne les efface point ; loin de les créer, elle les suppose ; elle ne crée pas, elle féconde ; elle ne s’applique pas au néant, mais à un germe divin qu’elle dégage et qu’elle développe. Sa vertu singulière est de produire une foi que la lumière naturelle ne produit point, la foi aux vérités surnaturelles. Mais ce n’est point elle seule qui enseigne à l’homme la liberté, le devoir, la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste, la spiritualité de l’ame, la divine Providence : sans la grace, la lumière naturelle peut enseigner tout cela, et elle l’a enseigné manifestement dans tous les siècles. Selon l’église, la raison naturelle est une première révélation qui a déjà sa puissance. Pour le jansénisme, cette première révélation demeure absolument stérile sans le secours d’une révélation nouvelle et particulière.

Comme dans la doctrine catholique toutes les vérités se tiennent,. de même toutes les erreurs ont leur enchaînement dans la théorie janséniste. La grace y doit être victorieuse et invincible, parce que la corruption de la nature humaine y est entière, parce qu’un tel mal exige un remède héroïque, et que du néant de la nature Dieu seul peut

  1. Voyez les premières Provinciales.