Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
375
REVUE. — CHRONIQUE.

guerrier, qui les écrivit après quatre-vingts ans, se font remarquer par un cachet tout particulier ; ils portent d’un bout à l’autre le caractère du désintéressement personnel et de la plus entière sincérité. Le maréchal de Tavannes et Montluc, pour ne citer que les plus célèbres parmi les catholiques ; Duplessis-Mornay, parmi les réformés, sont dominés par les ardentes passions de leur temps. Le duc de Sully prépare ses matériaux pour la postérité, comme un ministre constitutionnel pour la tribune ; Marguerite de Valois couvre tous les torts de sa vie par les artifices d’une habile dissimulation ; Brantôme écrit en homme de cour et de plaisir, indifférent aux grandes scènes au milieu desquelles il est jeté ; Bassompierre est un bel esprit qui arrange ses bons mots, comme un fat sa chevelure ; Lanoue seul, par la sincérité de ses convictions calvinistes et la modération avec laquelle il les expose, offre quelque ressemblance avec la manière grave et simple des Mémoires récemment livrés à la curiosité publique. M. de La Force écrit en vieux gentilhomme honnête et convaincu, invariablement attaché au calvinisme, qui fut la religion de son enfance, mais dégagé de toute prévention à l’endroit des catholiques, et pénétré de l’esprit de transaction dont son maître, Henri IV, fut à la fois l’expression et le modèle. Ses formes littéraires sont celles de l’homme de guerre instruit et observateur, et sa main octogénaire tient la plume avec une vigueur qui laisse deviner celle avec laquelle, la veille encore, il portait l’épée. Placé à côté des plus grands hommes et des plus grands évènemens de son siècle, il reste pourtant sans responsabilité personnelle dans les circonstances délicates et décisives. Ses mémoires échappent dès-lors à la nécessité de devenir une apologie : il parle moins souvent comme acteur que comme témoin bien renseigné. Ce journal loyal et sincère, expression d’une vie étrangère aux machinations politiques, commença le jour de la Saint-Barthélemy pour finir à la veille de la fronde. La vie de province et la vie de cour, les naïves habitudes du Béarn et les mœurs élégantes de Fontainebleau, s’y enlacent d’une manière heureuse et pittoresque : la correspondance du maréchal avec Mme de La Force, retirée dans sa terre, y établit comme deux courans d’idées différentes. Joignez à cela de nombreuses lettres de Henri IV, de Louis XIII, de Marie de Médicis, de Sully et de Biron, enfin les mémoires particuliers de MM. de Montpouillan et de Castelnaut, fils du maréchal, qui éclaircissent les faits trop vaguement indiqués par leur noble père, et vous aurez, à coup sûr, l’une des publications les plus importantes qui, aient été entreprises depuis long-temps.

Voltaire, à qui les mémoires manuscrits de la maison de Caumont avaient été communiqués, a rendu populaire la saisissante aventure du jeune de La Force, alors âgé de douze ans, laissé pour mort sous les cadavres de son père et de son frère, égorgés à la Saint-Barthélemy. Mais c’est dans l’œuvre du vieux maréchal qu’il faut lire ce touchant épisode, que nous comprenons mieux depuis que nous aussi nous avons connu les horreurs des nuits sanglantes et le secret des miraculeuses évasions. Sauvé d’abord chez un homme du peuple, il se fait conduire à l’Arsenal, chez Mme de Brisambourg, sa pa-