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la première fois, un monument mi-parti d’ogives et de pleins cintres parut dans nos contrées. Ce n’est pas en ce sens que le problème peut être résolu ; mais nous croyons qu’il est permis d’affirmer, avec cette confiance qu’on accorde aux vérités historiques les mieux démontrées, que, dans celles de nos provinces où l’architecture s’est le plus hâtée d’accueillir les premiers essais du système nouveau, il n’a rien été construit d’après ce système tant qu’a duré le XIe siècle, et que c’est seulement vers les premières années du règne de Louis le Gros qu’on peut, avec quelque assurance, admettre l’apparition d’un petit nombre de monumens de transition.

Nous n’ignorons pas combien de controverses ont été soulevées à ce sujet. Presque tous ceux qui, de près ou de loin, ont porté leurs regards sur l’archéologie du moyen-âge, ont émis, à propos de cette question, les opinions les plus contradictoires, et presque toujours tranchantes et absolues. Les uns, plus érudits qu’archéologues, plus accoutumés à lire dans les livres que sur les monumens, ont soutenu, sur la foi de certains textes, les plus étranges paradoxes, et donné à quelques édifices qu’ils affectionnaient une vétusté tout-à-fait inconciliable avec le style de leur architecture ; d’autres, ne voulant voir dans ces découvertes paradoxales que de pieuses fraudes, ont nié sans pitié toutes ces prétendues exceptions, toutes ces précocités hors nature, et n’ont consenti à admettre l’existence des monumens de transition que dans la dernière moitié et presqu’à l’extrémité du XIIe siècle. Au nombre de ces derniers, il faut compter presque tous les écrivains de l’Allemagne et de l’Angleterre qui se sont occupés de ces matières avec le plus de distinction.

Tout en partageant sur beaucoup de points leur incrédulité, je ne puis me refuser d’admettre qu’ils sont allés trop loin. Ils ont subi malgré eux l’influence de ce qu’ils voyaient dans leur propre pays, et ont jugé qu’il en devait être nécessairement chez nous de même que chez eux. Or, nous ne saurions trop le dire, sans vouloir en tirer la moindre vanité nationale, l’antériorité des monumens à ogive français sur tous ceux du nord de l’Europe ne nous semble pas pouvoir être mise en doute. C’est un fait que les écrivains anglais en général ne font pas grande difficulté de reconnaître. M. Dawson Turner[1], M. Whittington[2], M. G. Wilson[3], M. Gally Knight[4], avouent

  1. Voyage en Normandie, 1820.
  2. Revue historique des antiquités ecclésiastiques de France, 1829.
  3. Remarques sur l’architecture gothique à la suite du spécimen de Pugin, 1821.
  4. Voyage archéologique en Normandie, 1836. — Excursion monumentale en Sicile et en Calabre, 1839.