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séances où l’enthousiasme domine ne reviennent pas souvent dans le spirituel enseignement de M. Girardin ; mais aussi on avouera que Jocelyn ne parait pas tous les jours.

Tout ce que je veux constater par là, c’est que l’expérience et les années ont modifié le rôle de M. Saint-Marc Girardin à l’égard de la littérature contemporaine. Peu à peu son dédain a cessé d’être aussi général ; maintenant il prend ses points, il circonscrit le débat, et ne s’attaque plus qu’aux endroits vraiment vulnérables, aux honteux dévergondages du drame et du roman. La vérité est de dire que là-dessus M. Girardin a été prévoyant, qu’il a vu clair avant personne : les gerbes les plus lumineuses, tout le jeu brillant des étincelles, ne l’ont pas empêché de découvrir dès l’abord ce que tous nous voyons aujourd’hui, je veux dire la triste carcasse du feu d’artifice. Toutefois ce bon sens précurseur faisait aller le critique quelque peu loin. Aujourd’hui, son propre exemple, tant de pages d’une exquise littérature, nous serviraient à le confondre, s’il écrivait encore, comme en 1828, des phrases pareilles à celle-ci : « La littérature politique est la seule qui, avec l’histoire, ait peut-être encore de l’avenir en France. Quant au reste, poésie, tragédie, discours académiques, je crains bien qu’il ne faille dire avec Virgile : Claudite jam rivos, pueri[1]. » Les Harmonies, les Feuilles d’automne, les Consolations ont heureusement donné de glorieux démentis à cette prédiction par trop dégoûtée ; je crains bien que M. Girardin n’eût raison que sur la tragédie, car, pour les discours académiques, il nous prouvait lui-même hier qu’on en pouvait encore faire de charmans.

Quant au brillant avenir que le jeune écrivain réservait d’un ton si exclusif à la littérature politique, je m’explique cette prédilection. Lorsqu’il lançait cette prophétie, M. Saint-Marc venait précisément de débuter dans ce genre de polémique active par des articles qui faisaient éclat, et qui, du jour au lendemain, transformèrent le jeune universitaire, inconnu la veille, en publiciste important. Mais comment M. Saint-Marc Girardin était-il entré au Journal des Débats ? Ceci nous ramène à ses antécédens académiques, à cet Éloge de Bossuet, qui partagea le prix avec l’excellent morceau de M. Patin, et dont M. Hugo a bien voulu dire que le style en était à la fois « vigoureux et ingénieux. » Nous ne contredirons pas l’illustre poète, quoique le discernement des nuances ne soit pas précisément son fait. Cette fois, il rencontrait plus juste qu’il ne se l’était imaginé certainement

  1. Débats, 30 novembre 1828, à propos de la Correspondance de Courier.