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tory libéral, avait entraîné celle de Swift, son partisan, et que l’homme de plume n’avait pas résisté au désastre que l’homme du monde supportait sans blêmir.

Le premier anneau, mais bien faible, est donc Hamilton en France ; bientôt Bolingbroke pénètre dans la société de Mme de Tencin, et fait l’éducation morale de Voltaire. À ces relations succèdent celles de Destouches, l’auteur comique chargé d’affaires de l’abbé Dubois près de la cour d’Angleterre ; il n’a fait, selon moi, qu’une bonne comédie, et celle-là, il ne l’a point écrite ; c’est quand il a prié le chef de l’église anglicane de demander au pape la barrette de cardinal pour son maître et l’a obtenue.

Le régent s’était montré favorable à l’inoculation anglaise. Il aimait le Nord, et il était du Nord par sa mère. Tout ce qui s’oppose à lui est du Midi : c’est Cellamare, l’Espagne, Rome, Alberoni. Il se laisse séduire par le financier Law, Écossais, qui eut le tort de venir mal à propos, et de ne pas examiner d’assez près les élémens sur lesquels il voulait agir. Cet homme aimable, que la vue des plaies de la France jeta dans la volupté, et qui eut le coup d’œil si net et si ferme en politique, comprenait que le rôle actif du Midi était terminé ; fils d’Allemande, il penchait vers l’Allemagne et l’Angleterre. Ses mœurs furent un scandale, sans doute, mais sa politique sauva la France pendant quelque temps.

La pâle influence de Destouches eut bientôt cédé la place à la vive et forte action de deux hommes que les doctrines anglaises ont pénétrés Voltaire, ami de Bolingbroke et son élève ; Montesquieu, ami de lord Chesterfield, et membre de la Société royale de Londres. Ce n’est plus l’Angleterre des Stuarts qui copie burlesquement la France de Louis XIV ; c’est la France énervée de Louis XV s’inoculant la sève politique du vieux pays saxon. Bientôt le mouvement se précipite ; de tous côtés, les anneaux se lient, les rapports s’établissent. On admire à Paris la belle Marie Hervey, à demi française ; Sterne le sentimental touche Crébillon fils le libertin ; le salon de Mme Du Deffand s’ouvre aux amis de Walpole ; Wilkes paraît chez Mme Geoffrin, et effraie tout ce monde brillant et doux de sa vivacité hardie et de son langage impudent ; Mme de Boufflers ne veut pas quitter Londres sans voir la curiosité du pays, le dictionnaire vivant, le moraliste in-folio, Samuel Johnson. On se dispute à Paris le fameux Garrick, descendant des Garrigues de Provence, et qui apprend à Préville comment il faut être gris sur la scène. Hume se laissé adorer par les belles dames ; Gibbon vient recueillir les influences de Voltaire ; il ne manque plus