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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/56

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REVUE DES DEUX MONDES.

conclut qu’il n’a pas dû s’écouler un seul instant sans qu’il existât une église cathédrale à Coutances ; que, par conséquent, il n’y a eu ni destruction ni reconstruction, et que l’ancienne église a toujours subsisté. Mais comment oublier que, pendant le moyen-âge, c’était un usage constant et nécessaire que de faire succéder sans interruption, pour ainsi dire, l’église nouvellement reconstruite à l’église abandonnée ? Même au milieu des fouilles et des décombres, au milieu des échafaudages couverts de centaines d’ouvriers, il fallait assurer la perpétuité du culte, en conservant tout ou partie du vieil édifice jusqu’au moment où le nouveau pouvait être consacré. Les faits abondent pour certifier cet usage. Ainsi dans les archives capitulaires de Beauvais, on lit ces mots : [texte latin][1]. Ce fut donc, comme on voit, en 1272 que pour la première fois les chanoines de Beauvais célébrèrent les offices dans leur chœur nouvellement construit : or, leur cathédrale avait été incendiée en 1225 ; sa ruine avait été à peu près complète. Eh bien ! pendant les quarante-sept ans que durèrent les travaux de réédification, on ne trouve rien dans les archives capitulaires qui puisse faire supposer que l’église a cessé d’exister. On voit, comme par le passé, les évêques donner des revenus à telles ou telles chapelles de la cathédrale, fonder des messes singulis diebus celebrandas ; on continue enfin à voir enterrer les évêques dans l’église. N’est-il donc pas

    l’embarras du choix. Ne lisons-nous pas, dans un manuscrit cité par le Gallia christiana, que l’église de Jumiéges tout entière fut rebâtie en 1230, lorsqu’il est aussi clair que le jour que l’ancienne nef du XIe siècle est encore debout aujourd’hui, et que le chœur seul fut reconstruit au XIIIe siècle ? Ne trouvons-nous pas encore, dans le Gallia christiana (t. XI, col. 920), que Guillaume Le Roy, abbé de Lessay, en 1385, a été le fondateur de l’église de son abbaye : ecclesiam inchoasse dicitur. Or cette église est un monument du XIe siècle, sans aucune addition postérieure. Évidemment Guillaume Le Roy n’avait entrepris, en 1385, que quelques réparations.

    Encore une fois, les écrivains du moyen-âge ne doivent être consultés par l’archéologue qu’avec la plus grande circonspection. S’il s’agit de priviléges concédés ou refusés à l’église, de legs ou de donations, de discussions entre l’évêque et son chapitre, de conflits de juridiction, de questions de discipline, de fondation de chapelles, d’autels ou de services, d’actes de dévotion, de procès avec les seigneurs voisins, en un mot d’affaires ecclésiastiques, vous pouvez à peu près compter sur l’exactitude et sur l’intelligence des narrateurs ; mais quant à ces phrases si rares, si laconiques et si obscures, qui leur échappent à l’occasion des monumens, il faut n’en faire usage qu’en marchant avec précaution, comme sur un terrain où l’on peut rencontrer un piége.

  1. Gallia christiana, t. IX, col. 745.