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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/569

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prit à rire d’un de ces énormes rires dédaigneux qui n’appartenaient qu’à lui, absolument comme un géant auquel on offrirait : pour son dîner deux veufs d’oiseau-mouche ; et Mme Du Deffand, avec une dignité offensée, dit à sa camériste de refermer bien vite l’armoire d’acajou.

Rien n’était moins français que ce solide tory, qui visitait la France, prête, en 1775, à détruire sa monarchie ; aussi ne fit-elle pas la moindre attention à Johnson. Pour lui, le bruit de Paris l’ennuyait ; il aimait mieux les Hébrides et leurs solitudes hérissées de glaces ; non qu’il fût poète, tout au contraire ; mais sa raison grave devinait et redoutait les crises voisines ; il avait le coup d’ail pesant et profond. « À côté de Paris, dit-il, sur les grandes routes, aucun mouvement ; » il aperçoit la stagnation du commerce. « Pas de classe moyenne à Paris, dit-il encore. Cette heureuse bourgeoisie anglaise manque à la France ; » — rien de plus vrai. Il revient souvent à cette idée qui suffirait pour annoncer la révolution française, si tant de causes ne l’annonçaient ; à diverses reprises, il s’en effraie à juste titre. La création de la classe moyenne, qui est aujourd’hui régnante, a été trente ans à se faire.

Ce même Johnson, l’anglican tory, est presque un catholique, Parmi les faits historiques que l’auteur de cette étude voudrait voir établis, il en est un qui touche à trop de passions pour ne pas être combattu long-temps encore ; c’est l’analogie du protestantisme avec la race germanique, et celle du catholicisme avec la race romaine ; analogie et non identité. Le schisme vivait entre les races avant de s’élever entre les dogmes. La révolte protestante du XVIe siècle est bien plus une affaire de haine nationale et de joug brisé, qu’une affaire de croyance. Écoutez le représentant de l’église anglicane, au XVIIIe siècle, Samuel Johnson. Il est déjà puséyte ; catholique par le dogme, il hait le pape comme Anglais. Sa race se révolte ; sa raison consent. Il excuse la confession, admet le purgatoire, ne blâme pas le culte des saints, et ne regarde pas les indulgences comme ridicules. Que blâme-t-il donc ? L’autorité papale, le joug du midi, Rome, souveraine.

Si l’on veut, après avoir lu Selwyn, Boswell, Walpole, Garrick, Mmle Piozzi, mais surtout Walpole et Boswell, classer tous ces groupes différeras, selon.le degré de sévérité puritaine qui les distingue, et selon le degré de leur adhérence au génie populaire, Johnson et son groupe, avec miss Thrale, miss Burney, Boswell, ne viendront que les troisièmes. Avant eux ; marchent d’abord les saints proprement dits,