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les prophètes, Huntington, Henley, la plupart charlatans, et prêchant dans les carrefours ; la queue de Cromwell, En seconde ligne viennent Richardson et ses dévotes, armés de Paméla, de Grandilsson, et d’une montagne de sermons calvinistes. La nuance s’adoucit avec Samuel Johnson, qui donne la main d’une part aux mondains, à Garrick, à Reynolds, à Burke, d’une autre aux fanatiques et aux sévères, Richardson et Huntington. Goldsmith, le charmant moraliste, se rattache à ce groupe curieux, dont il est le jouet, parce qu’il est naïf dans ses prétentions au beau monde. Le degré d’estime et de vénération de Johnson pour l’ingénu Goldsmith est touchant et honorable.

Remontez encore ; vous trouvez les ombres, les esprits fades et languissans, qui ne sont rien que des plumes trempées d’encre : Mallet, Cumberland, Hawkesworth. Passons vite. Leur moralité est terne, et leur bon goût sans saveur. Arrivons jusqu’à Walpole ; c’est là que commence la sphère polie et élégante ; là Bentley le commentateur, Gray le poète, les charmantes Gunnings, Horace Mann, se donnent rendez-vous ; la France se laisse apercevoir, et Mme Du Deffand est au fond de la perspective. Si vous voulez vous éloigner davantage de la région puritaine et populaire, au-dessus même de Walpole, vous trouvez son ami George Selwyn, l’homme comme il faut par excellence, parce qu’il ne fait rien, et que Walpole fait une multitude de riens. Ce monde spécial de Selwyn vous mène à lord March et à son sérail, essaim d’Italiennes et d’actrices aimables ; il nous rapproche des Wilkes et des duchesses de Kingston, forcés de s’expatrier, tant ils choquent profondément le sentiment national. Ce sont eux précisément que la France tonnait ; c’est Wilkes, c’est Bolingbroke, l’évêque conspirateur Atterbury, Wharton l’extravagant, Montagu le fou. Elle lit l’améla, et s’abreuve d’Young ; elle ne sait pas qu’Young fait de l’or avec ses pleurs, qu’il partage les orgies de Marie Wortley Montagu et de Wharton, et que c’est le plus vénal des mendians lugubres ; elle ne sait pas que Richardson réunit en lui-même beaucoup du Tartuffe et un peu de l’Avare ; elle admire à la fois tout ce qui lui vient de ce pays libre. La France généreuse aurait-elle été dupe ?

Ainsi l’influence littéraire, que l’on a seule aperçue, vient compléter l’influence vivante et personnelle que nous avons essayé de signaler, celle des Bolingbroke, des Hamilton, des lady Hervey, des Stormund, des Atterbury. Comptez, si vous le pouvez, les personnes importantes avec lesquelles ces exilés ou ces voyageurs se trouvèrent chez nous en contact ; les joyeux soupers, les amours tristes ou heureuses, les alliances