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aujourd’hui d’intimider le parti ministériel. D’un côté, on lui fait peur de l’Angleterre, et, de l’autre, on lui fait peur de M. Thiers. Cela s’appelle gouverner. Voilà comme on s’applique à se justifier du grave reproche de suivre toujours et partout une politique à outrance ! Il y a des hommes qui exagèrent tout, l’opposition comme le pouvoir. Nous avons eu les ultrà de la restauration ; nous aurons les ultrà de la révolution de juillet.

Vous ne persuaderez à personne qu’une combinaison intermédiaire qui s’appuierait sur les deux centres soit en ce moment une chose impossible. Vous ne persuaderez à personne que la situation soit plus difficile pour une combinaison de cette nature que pour le cabinet actuel. Les fautes qu’il a commises sont jugées ; sur les questions pendantes, aucun engagement n’a été pris, aucun principe nouveau n’a été mis en avant, aucune réforme n’a été demandée. Un accord indépendant a régné entre des esprits droits, sincères, par suite d’une opinion commune sur des questions de conduite, où il s’est agi surtout d’apprécier des faits. Où sont donc les difficultés sérieuses qui entraveraient la formation d’un nouveau cabinet ? Nous ne voyons, pas ces impossibilités que les amis de M. Guizot découvrent si habilement ; mais nous connaissons une chose impossible, c’est de continuer le système suivi depuis quatre ans par le cabinet dans les affaires diplomatiques. Que dit le ministère de cette impossibilité, et qu’en pense la réunion Hartmann ?

La situation est grave. Il y a en ce moment dans la région politique des symptômes qui doivent, nous ne disons pas alarmer les esprits, mais fixer sérieusement leur attention. Depuis un mois seulement, que d’avertissemens ont été donnés et n’ont pas été entendus ! En ouvrant la session, le ministère se croyait sûr de la majorité : or, le discours du trône est accueilli froidement par les chambres ; M. Dufaure est nommé vice-président ; M. Billault manque son élection de quatre voix, et peu s’en faut que sa candidature ne devienne une question de cabinet. La discussion commence ; M. Molé se met à la tête de l’opposition conservatrice ; M. de Montalivet, dans une mesure que chacun peut apprécier, exprime son dissentiment politique. Chose remarquable ! le scrutin de la chambre des pairs donne 39 boules noires contre l’adresse. Arrive la discussion de la chambre des députés ; un conservateur, M. de Carné, présente un amendement contre la conduite générale du cabinet dans les questions extérieures, et 200 voix votent l’amendement. Les 200 voix se prononcent également contre le traité de Tanger. Enfin, sur la question de Taïti, la minorité, en y comptant les abstenans, devient majorité. La base du ministère s’écroule ; mais le ministère reste. L’opinion parle, elle n’est pas entendue. Il y a un terrain large où l’on pourrait asseoir solidement une administration nouvelle, mais on aime mieux se cramponner sur un sol étroit et qui tremble. A une majorité étendue, on préfère une majorité douteuse qu’il faut enchaîner par la violence. On pourrait arborer un drapeau de conciliation, on devient exclusif. Il y a un nom qui est une des gloires de la majorité conservatrice, c’est M. Molé ; on le frappe d’ostracisme. Il y a un