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soit qu’à l’intérieur on la fonde sur les développemens de l’industrie, de l’agriculture et des sources naturelles de la richesse publique, soit, à l’extérieur, sur les alliances et les traités de commerce ; tout enfin se trouve en péril jusqu’au lendemain de la nationalité. Nous croyons, pour notre compte, que tous ces problèmes se peuvent résoudre, bien éloigné en ceci de la commune opinion qui en Portugal ne voit plus que des maux incurables, un passé sans avenir, des ruines qu’on peut çà et là remuer et changer de place, mais qu’il est impossible de relever. On n’imagine rien de mieux, quand on n’a point de près étudié les deux peuples de la Péninsule, leurs caractères, leurs passions, leurs tendances, que de conseiller au Portugal de s’associer aux destinées de l’Espagne, si orageuses qu’elles puissent encore s’annoncer. Assurément, si, dans les premières années, les années décisives du XVIIe siècle, Philippe II, abandonnant Madrid dans ses nues et arides solitudes, avait transporté le siège de son empire à Lisbonne, l’Espagne, qui n’aurait point cessé d’être une grande puissance maritime, serait de toute nécessité devenue une grande puissance commerçante ; dans tous les archipels, dans les plus lointains continens, elle eût conservé ses colonies magnifiques ; engagée en de plus fécondes entreprises, peut-être se fût-elle retirée de l’Italie et des Flandres. Mariées pour jamais et entourant les armes d’Aragon, les quatre couleurs de Portugal et de Castille flotteraient maintenant, sans aucun doute, sur la triple ceinture de batteries dont se hérisse le roc de. Gibraltar. Cette faute de Philippe Il est la plus grande qui se soit commise dans la Péninsule : aujourd’hui, deux siècles et demi après le second monarque de la dynastie autrichienne, on n’entrevoit pas même l’époque où on pourra la réparer. Les rois constitutionnels de l’Espagne ressaisiront-ils la domination du détroit que se sont laissé enlever les rois absolus ? Qui le peut prédire, et qui même le peut espérer ? Reprendront-ils ces riches provinces que n’a point su conserver Philippe IV ? Autre beau rêve qui, pour le bonheur de l’Espagne comme pour celui du Portugal, se réalisera un jour peut-être ; au moment où nous voici parvenus, il n’est point permis d’y songer.

Entre Ciudad-Rodrigo et Almeïda, quand vous descendez le versant de la Sierra de Francia, le même soleil andalous a beau illuminer tous les horizons que le regard est capable d’embrasser, vous auriez beau ignorer qu’à deux pas de vous une ligne de raison sépare deux royaumes ; cette ligne capricieuse, qui tourne les pics comme un fleuve et serpente dans les ravines, vous l’apercevez aussi nette, aussi distincte que si en effet elle marquait le cours du Tage ou du Duero : en-deçà, les sierras désolées de l’Estramadure ; au-delà, les vertes cincas de l’Alemtejo. Entre elle et son ancien vassal révolté, on dirait que l’Espagne a voulu mettre des déserts, comme autrefois les premiers rois catholiques entre leurs villes renaissantes et les cités de l’Islam. Il y a deux siècles, c’était par les plus vives démonstrations de la haine et du mépris que se repoussaient les deux peuples ; aujourd’hui, c’est bien pis encore : au mépris et à la haine a succédé la plus franche, la plus complète indifférence qu’il soit possible d’imaginer. On a souvent prétendu