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inégal et moins pur que celle de Coutances, la cathédrale de Séez appartient aussi à la belle époque de l’architecture à ogive ; ce n’est pas un monument de transition, le principe vertical et les formes aiguës s’y manifestent d’une manière presque exagérée. Qu’importe ? on vous prouve, l’histoire en main, que cette église a été fondée en 1053 ; à vingt-trois ans près, c’est aussi merveilleux qu’à Coutances. Cependant ici le paradoxe est soutenu avec moins de hardiesse, d’abord parce qu’à Séez il n’y a ni Livre noir, ni archives capitulaires ; en second lien, parce qu’il est à peu près prouvé qu’en l’an 1150 la cathédrale et la ville furent incendiées de fond en comble. C’en est assez pour que les moins clairvoyans soient en garde contre la prétendue identité de la cathédrale actuelle et de la cathédrale de 1053.

Quant aux autres églises à dates merveilleuses, telles que la collégiale de Mortain, la cathédrale de Chartres, l’église de l’abbaye de Fécamp, ce sont au moins des constructions qui appartiennent en partie à l’époque de transition ; elles sont toutes d’un demi-siècle environ plus anciennes que les cathédrales de Coutances et de Séez, et comme on fait remonter leur fondation moins haut, il faut convenir qu’à leur égard la vraisemblance est moins outrageusement violée. Cela n’empêche pas qu’aucun de ces monumens ne peut avoir été construit aux époques qu’on leur assigne. Ainsi, à Mortain, il ne reste évidemment de la construction de 1082 qu’une seule porte, et, cette porte est à plein cintre ; à Chartres, s’il est vrai, comme on le raconte, que la princesse Mahaut, veuve de Guillaume-le-Bâtard, ait fait couvrir de plomb, en 1088, le chœur, les transsepts et une partie de la nef de la cathédrale, il est parfaitement certain que ce n’était ni le chœur, ni les transsepts, ni la nef de la cathédrale actuelle, dédiée seulement en 1260. Notre-Dame de Chartres était à peine hors de terre, lorsqu’en 1145, au retour d’un voyage dans le pays chartrain, Hugues, archevêque de Rouen, écrivait à l’évêque d’Amiens Thierry que tous les habitans de la province, hommes, femmes, et enfans se, livraient depuis peu avec une incroyable ardeur à la reconstruction de leur église[1]. Enfin, quant à Fécamp, on oublie, lorsqu’on veut voir dans l’église de son abbaye un monument de 1108, qu’en 1167 un incendie réduisit en cendres tout le monastère[2], et que l’abbé Henri de Suilly travaillait encore à relever l’église de ses ruines lorsqu’il mourut en 1188.

  1. Voyez Remarques de l’abbé Lebeuf sur le tome VI des Annales bénédictines de dom Mabillon publié par dom Martenne. Mercure de France, juin 1739.
  2. « 1167 : Fiscannense monasterium combustum, etc. » Robertus de Monte, in append. ad Sigebertum. )