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à son gré supprimer les conditions essentielles du régime représentatif, ce n’est point aujourd’hui l’abus le plus criant ni le plus redoutable péril : la vraie cause de toutes les querelles, le vrai sujet de toutes les polémiques, c’est l’article de la charte qui, selon M. da Costa-Cabral, confère au souverain le droit absolu de négocier à son gré, de conclure comme il l’entend des traités avec les puissances étrangères, sans qu’il soit le moins du monde tenu de demander aux chambres leur assentiment, ni même un semblant de sanction, sauf les cas où il s’agirait d’aliéner une portion du territoire ; privilège exorbitant en un pays où l’opinion publique, pas plus que le parlement, n’exerce un réel contrôle, et où, par un simple traité de commerce avec l’Angleterre ou avec toute autre puissance, on peut relever la fortune ou consommer la ruine de la nation.

Tels sont les points essentiels sur lesquels diffèrent la charte et la constitution de septembre ; au fond, dans le cas même où celle-ci aurait dû subir une révision sévère, ce n’était pas une raison pour la renverser par l’insurrection déclarée. On sera de notre avis si l’on songe que c’est l’énergique démonstration du ministre à Porto qui, entre les deux partis, a ranimé tous les griefs, exalté toutes les haines. Il est curieux de raconter comment s’est accomplie cette contre-révolution, la plus étrange, sans aucun doute, dont la Péninsule, où de tout temps la politique a eu pourtant de singulières et romanesques allures, ait jamais donné le spectacle. En janvier 1842, M. da Costa-Cabral occupait le portefeuille de la justice dans le cabinet dont M. Aguiar était le président. Dominé par M. Aguiar, qui dirigeait le département de l’intérieur, et par M. Rodriguez da Fonseca Magalhães, son plus ancien rival d’influence, qui était ministre des affaires étrangères, M. da Costa-Cabral ne put se résigner à une position secondaire. Pour arriver au premier rang, ce n’était point assez de supplanter ses deux chefs de file. M. da Costa-Cabral n’inspirait point assez de confiance au parti septembriste pour qu’une simple crise ministérielle lui pût donner la suprême direction des affaires, tant que dans la loi fondamentale du royaume subsisteraient les principes de ce parti. À ces principes il fallait donc, s’il voulait atteindre le but, substituer les idées toutes contraires à la constitution de septembre, la vieille charte de dom Pedro. M. da Costa-Cabral n’hésita point : de la conspiration dont le roi Fernando, M. Dietz, M. de Drummond, étaient l’ame, il se fit l’instrument actif ; au moment où l’on pouvait le moins s’y attendre, M. da Costa-Cabral quitta brusquement Lisbonne, et se rendit à Porto, où la charte fut proclamée le 27 janvier 1842, à la grande stupéfaction du Portugal tout entier. De Porto, M. da Costa-Cabral se dirigea aussitôt sur Coïmbre, où il rencontra, mais dans l’opinion seulement, une sérieuse résistance dont il vint à bout moitié par les promesses, moitié par les menaces. A Lisbonne, la démonstration du ministre fut d’abord considérée comme une insurrection véritable ; sans hésitation ni détour, la reine forma un nouveau ministère dont la présidence fut déférée à M. le duc de Palmella ; M. le comte das Antas, appuyé par M. de Bomfin dans l’Alemtejo, reçut l’ordre de marcher