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et dont les membres sont nommés par le souverain. Au reste, procédant de l’élection ou directement choisis par le prince, tous les magistrats du royaume étaient jusqu’ici, et depuis les temps les plus reculés, comme chez toutes les nations de l’Europe, inamovibles et placés hors la dépendance du gouvernement. Par le premier des décrets promulgués au mois d’août 1844, M. da Costa-Cabral a radicalement détruit une situation si naturelle et si normale. Qu’il soit de première instance ou d’appel, peu importe, chaque juge peut être aujourd’hui déplacé et révoqué, si depuis trois ans déjà il ne siège au tribunal où il remplit ses fonctions. Cette mesure est de tout point inexcusable ; les circonstances ne la provoquaient d’aucune manière, car en Portugal la magistrature n’a jamais pris qu’une part fort restreinte aux querelles politiques ; elle est d’ailleurs sans exemple dans les pays où le pouvoir politique n’exerce pas ouvertement la dictature. C’est là une de ces déterminations violentes qu’un gouvernement ne devrait jamais songer à prendre sans le concours de la représentation nationale, et encore selon les vrais et immuables principes, non pas du régime représentatif, mais des simples monarchies tempérées, si peu que l’on souhaite de garanties contre les abus et les excès du prince, aucune assemblée, aucune autorité constituante ne pourrait aller aussi loin que M. da Costa-Cabral. M. da Costa Cabral a réduit les magistrats à n’être plus que les agens et les instrumens du pouvoir ; il a subordonné à l’ordre politique cet ordre judiciaire, dont les législateurs et les chefs des sociétés les moins avancées avaient eux-mêmes respecté, constitué l’indépendance ; il a détruit l’immunité qui, chez les nations constitutionnelles, suffirait à protéger la vie et la fortune des citoyens dans le cas où le pouvoir exécutif finirait par dominer et par opprimer celui qui est chargé de faire les lois En Portugal, cette immunité était d’autant plus précieuse, que les municipalités, autrefois si libres et si florissantes, n’y jouissaient plus que d’une indépendance nominale. A la vérité, les assemblées communales y sont encore nommées par le peuple ; mais leurs attributions subissent le sévère contrôle des juntes de district, et l’on n’a pas souvenir que celles-ci, bien que’ leurs membres soient élus par les municipalités mêmes, aient jamais résisté aux volontés du gouvernement, signifiées par une sorte de chef politique ou de préfet, qui, en Portugal, se nomme gouverneur civil.

Le second décret de M. da Costa-Cabral donne au ministère le droit, non-seulement de réduire les officiers à la demi-solde, mais de les destituer, sans être pour cela obligé d’exposer ses motifs. Ici également sont méconnues et froissées les idées libérales importées à Lisbonne par l’empereur dom Pedro, et proclamées dans le préambule de toutes les constitutions que depuis 1820 le pays a subies. Et, en vérité, l’on dirait que M. da Costa-Cabral s’est, de gaieté de cœur, aliéné la plupart des officiers de l’armée, dont les sympathies avaient fait jusqu’à ce jour sa force principale. Chacun le sait, l’armée portugaise ne s’est jamais fait remarquer par l’esprit de subordination et de discipline ; c’était encore, il y a deux mois à peine, la seule armée d’Europe