Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute innovation, quelle qu’en fût la nature : elles luttèrent contre le protestantisme dans le même esprit qu’elles mettaient à défendre l’inviolable autorité de la philosophie d’Aristote ; elles restèrent stationnaires en religion comme en philosophie, moins peut-être par piété que par pédantisme.

Aucune cause générale ne favorisait donc en France la diffusion du protestantisme ; il s’y trouva livré à ses propres forces, au lieu de devenir comme en Angleterre, en Suède, en Prusse et dans presque tout le reste de l’Allemagne, l’auxiliaire et l’instrument du pouvoir. Il fut vaincu dans cette lutte corps à corps contre le génie national, car dix siècles de l’histoire s’élevèrent contre lui. En France, plus encore que dans le reste de l’Europe, l’église avait constitué la nation. L’invasion musulmane s’était arrêtée aux plaines de Tours, le cri puissant des croisades était sorti de poitrines françaises, et la chevalerie avait, par un lien mystique, uni l’esprit nobiliaire à l’esprit religieux. La France avait presque toujours été l’auxiliaire des pontifes romains dans leur politique en Italie, quoiqu’elle eût maintenu avec une singulière et jalouse persévérance la liberté d’action de la couronne, depuis saint Louis jusqu’à Charles VII. Aucun peuple n’avait pris autant de soin pour combiner l’indépendance de la puissance temporelle avec les droits de l’unité religieuse, et le gallicanisme, dans ses prétentions exorbitantes, était devenu comme une sorte d’inoculation anticipée de la réforme, devant laquelle les progrès du protestantisme s’étaient soudainement arrêtés. Depuis le commencement du siècle, les merveilles de la renaissance avaient développé des goûts peu conciliables avec la nudité d’un culte iconoclaste ; enfin l’austérité qu’affectait la réforme n’allait pas à la génération qui, après avoir vu les scandales de François Ier, était destinée sur ses vieux jours à contempler les adultères publics de Henri IV.

La réforme ne s’étendit en France que par voie de conquête individuelle. On comprend dès-lors que, de tous les pays de l’Europe, la France soit celui où les convictions calvinistes aient été le plus désintéressées et le plus sincères. La doctrine de Calvin fit d’assez grands progrès dans quelques villes et surtout dans les nombreux châteaux de la noblesse éloignée de la cour. Plus tard, dans les provinces méridionales du royaume, un levain d’hérésie, dont la fermentation était vieille de plusieurs siècles, vint lui prêter l’énergie populaire qui lui manqua presque toujours ailleurs.

Il était impossible qu’à raison de leur faiblesse numérique, les réformés ne recherchassent pas l’appui de l’une des grandes factions