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LIMOËLAN.

— Non, mon général.

L’homme, s’approchant du prisonnier, lui frappa sur l’épaule en souriant.

— C’est parce que je vous connais, monsieur de Limoëlan, que je suis venu vous faire moi-même cette proposition. Je savais d’avance votre réponse. On s’assure d’un homme comme vous en le menant devant l’ennemi ; il n’a plus là qu’une chose à faire.

Il reprit, sans laisser à Hercule le temps de répondre :

— Vous êtes libre dès à présent. Vous trouverez demain votre brevet aux bureaux de la guerre. Partez immédiatement. Je me souviendrai de vous.

L’homme se retira aussi brusquement qu’il était entré, laissant Hercule plein d’agitation et d’incertitude. En repassant le peu de paroles qu’il venait d’entendre, et ce mélange d’impatience, d’autorité, de bienveillance qui les avait accompagnées, il demeurait humilié de n’avoir pu répondre, et pourtant il ne voyait point par quel moyen il eût pu résister à une manœuvre si suspecte.

Il sortit le lendemain de sa prison sans grande joie, et trouva son brevet à l’état-major, avec un ordre de quitter Paris sur-le-champ pour rejoindre son corps cantonné à Châteaubriant, dans la Loire-Inférieure. Sa seule disgrâce, que la supériorité du grade semblait compenser, fut qu’il n’entrait point, du moins pour le moment, dans l’arme spéciale de l’artillerie ou du génie ; il fut nommé capitaine d’infanterie.

C’était un effet de la politique des consuls d’envoyer dans l’ouest, troublé de nouveau par la chouannerie, tous les jeunes officiers compromis dans la dernière conspiration. On voulait occuper et utiliser encore cette fougue républicaine contre les ennemis les plus acharnés de la révolution. Trois jours après. Hercule fut rendu à son poste, et croyant, sur la foi des feuilles publiques, cette guerre des chouans depuis long-temps étouffée, il fut fort surpris de trouver en arrivant le pays en feu. Ce qui l’étonna davantage et le frappa de je ne sais quel pressentiment sinistre, ce fut d’apprendre que les troupes étaient placées sous le commandement supérieur de ce même Malseigne, cet ami, ce traître, si rapidement monté en grade. Grâce à cette rencontre, l’officier supérieur commandant la garnison de Châteaubriant lui parut dûment prévenu sur son compte ; toutefois, ce chef le reçut poliment, et lui dit dès l’abord :

— Capitaine, je vous ménage une réception digne de votre mérite et qui vous donnera occasion de vous faire connaître à vos hommes. Il y a cinq cents chouans à Segré. Je vous ai désigné pour les dissiper