Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
686
REVUE DES DEUX MONDES.

à la tête de votre compagnie. Je n’y pourrai joindre qu’un piquet de hussards. J’ai peu de forces, et je suis obligé de les ménager, de ne pas m’éparpiller surtout. Je suis déjà trop faible dans ma position. D’ailleurs, je ne doute pas que ce détachement ne vous suffise. Ce sera une manière de payer votre bienvenue et de gagner vos éperons ; dans une heure je vous présente à vos hommes, et vous vous mettrez en route à la nuit tombante. À propos, nous avons ici un de vos amis, le lieutenant Simon ; vous serez sans doute bien aises de vous revoir. Il m’a souvent parlé de vous.

Hercule, préoccupé de ce qu’il avait appris sur Malseigne, se dit en sortant :

— Je vois qu’il s’agit de me faire tuer. Le procédé est honnête, ils y trouvent leur compte, et moi le mien.

Après que le commandant l’eut mis à la tête de sa compagnie, il s’en alla dormir quelques heures, car il était encore las du voyage, et n’eut pas même le temps de s’informer du lieutenant Simon, qu’il aurait revu avec grand plaisir. Le soir, il rassembla son monde, fit charger les armes, et l’on partit en silence avec deux ou trois paysans qui servaient de guides.

On longea des haies et des bouquets de bois jusqu’à ce qu’il fît nuit noire pour dérober la marche de la troupe. Les cavaliers seuls suivaient le grand chemin en cas que l’ennemi se laissât tenter par leur petit nombre. On traversa ensuite de grandes landes, et l’on parvint à l’endroit où les renseignemens signalaient la réunion des chouans. On n’y trouva personne. On battit le pays aux environs, on détacha des éclaireurs qui ne rapportèrent nulles nouvelles. Après quelques heures de recherches fatigantes ou de stations l’arme au bras, le capitaine posa ses sentinelles et permit à ses hommes de prendre un peu de repos.

Vers trois heures du matin. Hercule sortit en sursaut d’un sommeil agité. Son voyage rapide et les évènemens qui s’étaient succédé si vite pour lui depuis trois jours l’avaient rempli de trouble. Il se leva et se promena à pas lents autour de sa troupe endormie dans l’espace de terrain embarrassé de broussailles qui la séparait des sentinelles. Pour la première fois il fut frappé vivement de sa présence dans ce pays si proche du sien.

L’aube commençait à poindre et découvrait par degrés ces vallons boisés et ces champs de blé noir qui lui retraçaient tant de souvenirs et de cruelles scènes de son enfance. Il avait aussi jadis dormi sur ces landes, il y avait vu de même ses compagnons couchés autour de lui,