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et je ne puis voir tuer ces paysans sans que le cœur me manque. Je m’en explique nettement, et vous apprécierez mes motifs. Qu’on m’envoie sur la frontière.

Le vieil officier parut touché de ces raisons.

— Où vous envoyer ? J’ai peu de monde, vous le savez. Je consulterai l’adjudant-général, qui vient d’arriver.

— Malseigne ! dit Hercule.

— Ah ! oui, vous le connaissez ; il était à l’école en même temps que vous. Ce n’est qu’un jeune homme, mais il va vite.

— Tenez, dit Hercule, nouvelle raison pour m’éloigner. Malseigne et moi nous n’aimons plus à nous trouver ensemble. Présentez-lui ma demande, je suis sûr qu’il sera de mon avis.

— Oui, reprit le commandant avec un sourire d’intelligence, j’ai entendu parler de ce qui s’est passé à l’école.

— Que fait-il donc ici ?

— On n’en sait rien précisément, une mission importante… il a des pleins pouvoirs sur les corps du département. Il s’agit peut-être d’une négociation avec les chouans. Tout cela se rattache, dit-on, à des plans de haute police. Fouché est là-dessous.

— Je comprends, dit Hercule avec un sourire de mépris. Parlez-lui de moi, puisqu’il le faut, et ôtez-moi de sa vue ; je ne tiens pas à l’avancement.

La présence de Limoëlan à l’armée de l’ouest envenimait en effet la haine furieuse que lui portait Malseigne. Il fut facile à l’adjudant général d’abuser contre Hercule des secrets de sa famille qu’il connaissait bien, et du rôle qu’avait joué son père dans les guerres de la Vendée. Il eut soin même d’insinuer parmi les officiers de l’état-major que, s’il avait rompu l’équipée de l’école, c’est qu’il avait acquis la preuve que Limoëlan travaillait secrètement pour les Bourbons. Il fut bientôt instruit de la scène suspecte qui s’était passée sur la lande, et il en fut question quand le commandant lui exposa la demande d’Hercule. Malseigne donna là-dessus ses instructions à l’officier supérieur, et choisit ce moment pour développer de grandes mesures dont il était chargé, disait-il, et qui pouvaient étouffer d’un coup la guerre prête à se rallumer sur la rive gauche par l’effet d’une machination formidable.

Le lendemain, le commandant fît appeler Hercule et lui dit que sa demande était accordée. Il lui expliqua qu’il s’agissait d’aller surveiller le cours de la Loire aux environs de Varades et d’Ancenis ; que, le pays étant parfaitement calme de ce côté, c’était un poste fait pour