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auprès de quelques maisons éparses, et justement en face du château de Lagrange, dont le chemin lui était si connu. Les environs étaient tranquilles et l’étaient depuis long-temps, d’après ce qu’on put tirer des habitans qu’on interrogea. C’était, comme on le lui avait dit, un poste d’observation dans un coin reculé du théâtre de la guerre, où il n’était pas probable qu’on pût s’inquiéter de lui.

Après avoir pris les premiers soins pour le séjour, l’esprit troublé de la même pensée, il délibéra en lui-même comment il la pourrait mettre à exécution. Il ne s’agissait de rien moins que de quitter son poste, et c’était de quoi le faire balancer ; mais il pouvait croire et alléguer qu’il était trop éloigné de ses chefs pour demander une permission qu’on lui eût sûrement accordée. Un jour d’absence d’ailleurs lui suffisait, et son lieutenant pouvait fort bien le remplacer pendant ce peu de temps.

Quelques heures après l’arrivée de la troupe, un soldat, celui-là même qui avait questionné le sergent sur la lande et qui passait pour un espion, rejoignit en traînard la compagnie. Il apportait des nouvelles du cantonnement : il y avait eu le matin, disait-il, divers engagemens, et l’on avait pris un chef de chouans qui pouvait bien être le masque noir. Les soldats qui entouraient cet homme battirent des mains. Hercule s’imagina que son père était prisonnier, et, comptant s’en assurer, il n’hésita plus dans son dessein d’aller à Lagrange.

Le soir même, il fit venir son lieutenant, l’investit du commandement, lui dit à demi son projet, en ajoutant qu’un jour lui suffirait. Une heure après, à la tombée de la nuit, il passa la Loire sur une petite barque dont le batelier lui faisait remarquer certains endroits fameux dans la grande guerre par les divers passages des troupes vendéennes. Comme il répondait par des monosyllabes et des signes affirmatifs :

— Sans doute vous vous battiez déjà contre les brigands ? lui dit cet homme.

— Non, j’étais encore bien jeune et je servais avec eux.

Il laissa sur le bord le marinier tout étonné de voir un Vendéen qui passait la Loire sous l’habit d’un officier bleu, et se mit en marche à la hâte, car la nuit tombait, et il avait un grand quart de lieue à faire par des chemins difficiles ; mais ces chemins, il ne les avait point oubliés. En marchant très vite et dans une agitation entretenue par la rapidité de sa course, il lui échappait des soupirs, des cris de joie et de pitié à la vue de certains objets qu’il retrouvait sur son passage. Là, c’était la ruine tronquée d’un moulin qui se dressait comme une