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REVUE DES DEUX MONDES.

D’ailleurs, j’ai prêté serment à la république ; je ne deviendrais un traître qu’en m’échappant.

Le comte garda le silence un moment.

— Je vous entends, vous ne voulez point de violence. Tentons la fortune ensemble. Vous voyez combien j’ai pénétré facilement jusqu’à vous ; il y a derrière la plaque de cette cheminée un passage qui a plusieurs issues sur les toits et dans les caves de cette maison. Vous n’avez qu’à me suivre, nous nous sauverons ou nous mourrons ensemble.

Hercule répondit d’une voix altérée :

— C’est une grande joie pour moi que de mourir avec votre estime ; je ne puis renoncer à celle de mes camarades. Sauvez-vous seul, mon père ; pour moi, je ne vous suivrai point.

— Et vous avez raison, dit brusquement le comte ; je regrette qu’un homme comme vous ait servi une pareille cause. C’est donc là ce que vous voulez ?

— Je voudrais aussi vous embrasser, mon père.

Le comte ouvrit les bras, et dans cet embrassement Hercule sentit que le visage du vieillard était mouillé de larmes. Entre ces deux hommes, il n’était pas besoin d’un mot de plus. Le comte se dégagea des bras de son fils, et disparut sans bruit comme il était venu.

Hercule, demeuré seul, et rassuré sur l’unique sujet de ses inquiétudes, se laissa tomber sur la grande chaise qu’on lui avait laissée, et, nul bruit extérieur ne l’alarmant sur l’évasion du comte, il s’endormit profondément.

À cinq heures du matin, un sergent vint le secouer, et lui dit avec émotion que l’exécution, d’abord marquée pour six heures, avait été retardée d’une heure, parce qu’on voulait attendre l’adjudant-général, qui serait alors arrivé.

— Mais j’ai pensé, mon capitaine, ajouta le vieux soldat, que vous ne seriez peut-être pas fâché d’avoir une heure devant vous.

Hercule s’assura facilement qu’il n’y avait point eu d’alerte dans la nuit.

— Capitaine, reprit le sergent, il y a là un paysan qui a pleuré toute la nuit au dehors, mais on a défendu de le laisser entrer.

— Je l’aurais embrassé avec plaisir, c’est un vieil ami ; mais il faut obéir. Aussi bien ce pauvre Langevin m’aurait attendri. Dis-lui de ma part de s’en aller.

Hercule demeura seul, car aucun des officiers ne se sentit le cou-