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défiance envers les dates et les récits consacrés, on verra toujours, au moins sur quelques points, se justifier nos prévisions. Il y a plus de douze ans que nous avons indiqué sommairement ces idées[1], et depuis ce temps nous n’avons rien trouvé qui ébranlât notre croyance ; elle s’est plutôt fortifiée par le résultat de constantes observations, et bien qu’aucun texte précis, aucun document incontestable ne donne encore à ces aperçus une véritable consistance, nous ne perdons pas l’espoir de pouvoir quelque jour invoquer en leur faveur une révélation positive. Déjà une récente découverte semble justifier cet espoir : on vient de trouver en Allemagne quelques fragmens du journal d’un franc-maçon, et il résulte des notes tracées sur ce journal que le triangle équilatéral était bien réellement la base fondamentale du système à ogive : voilà donc déjà un de ces principes auxquels on pouvait jusque-là contester toute valeur scientifique, qui commence à prendre un caractère de certitude. Avec de persévérantes recherches, on pénétrera plus avant, on retrouvera quelque autre secret des confréries maçonniques, on obtiendra la confidence de leur origine, de leur constitution, de leur véritable but. Que tous ceux à qui ces questions inspirent un sérieux intérêt cessent de s’évertuer à prouver, les uns que l’ogive nous est venue d’Orient, les autres qu’elle est indigène, querelles vides et oiseuses ; qu’ils cherchent par qui a été mis en œuvre le système à ogive, pourquoi l’influence de ce système a été si grande et si universelle, comment pendant trois siècles il a pu exercer sur une moitié de l’Europe une absolue souveraineté ; qu’ils cherchent enfin si la naissance et les progrès de ce système ne sont pas inséparablement liés à la grande régénération des sociétés modernes dont le XIIe siècle voit éclore les premiers germes.

C’est dans ce sens, encore une fois, qu’il reste à faire de profitables découvertes. C’est là le véritable problème, le problème historique de l’époque de transition. Les révolutions architecturales ainsi envisagées ne se confondent plus avec ces fantaisies futiles et éphémères qui font préférer telle étoffe à telle autre pendant un certain temps ; elles sont de sérieuses, de véritables révolutions ; elles expriment des idées. Il faut que l’archéologie, en même temps qu’elle constate et qu’elle analyse les faits dans leurs plus minutieux détails, les généralise parfois et fasse planer sur eux un coup-d’œil d’ensemble. C’est ainsi qu’elle prend rang parmi les sciences utiles, puisque en nous révélant,

  1. Rapport sur les monumens historiques des départemens de l’Aisne, de l’Oise, du Nord, de la Marne et du Pas-de-Calais, in-8o, 1831, pages 10 et suiv.