Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/853

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la salle et la galerie des Merciers pleines de peuple à toute heure, au lieu que n’y voyons plus que l’herbe verte qui croist là où les hommes avoyent à peine espace de se remuer. Nos ports de Grève et de l’Escole seraient couverts de bateaux, pleins de blés, de vins, de foin et de bois. Permettez-moi que je m’exclame pour déplorer le pitoyable état de cette royne des villes, de ce microcosme et abrégé du monde ! Ha, messieurs les députés de Lyon, Thoulouze, Rouen, Amiens, Troyes et Orléans, regardez à nous, et y prenez exemple, et que nos misères vous fassent songer à nos despens[1]. »

Les conseils donnés à la bourgeoisie parisienne par Pierre Pithou et ses collaborateurs de la Ménippée furent suivis au pied de la lettre. La classe moyenne employa, pour préparer une capitulation, les mêmes efforts qu’elle avait consacrés à organiser la résistance. On vit les membres les plus notables de l’administration municipale et des corps de métier, jusqu’alors ligueurs indomptables, conspirer avec Brissac et le seconder bientôt après, lorsqu’au prix de 1,600,000 livres ce gouverneur ouvrit au roi les portes de la capitale dont la garde lui avait été commise. Brissac trahit la ligue comme d’autres ont trahi l’empire, au déclin de sa fortune et à la veille d’une défection générale. Il fut l’homme des intérêts en souffrance et des esprits refroidis par la réflexion : prenant les devans, il fit, à son profit particulier, un acte que l’ensemble de la situation aurait bientôt rendu nécessaire.

Mais si la bourgeoisie déserta la sainte-union pour ramener l’abondance sur sa table et le calme dans la cité, cette grande époque ne reste pas moins comme son principal titre d’honneur aux yeux de la postérité et au jugement de l’histoire. La bourgeoisie française ne céda qu’après avoir contraint son roi à s’incliner devant la loi et la volonté du pays, en se faisant catholique. Jusqu’aux conférences de Suresne et à la promesse d’abjuration, on la vit soutenir héroïquement la lutte au prix des plus pénibles sacrifices, de ceux qui devaient répugner davantage à ses habitudes régulières et à ses mœurs pacifiques. La ligue atteignit son but et ne réussit pas à le dépasser ; elle conserva l’orthodoxie religieuse, sans lui sacrifier l’une des lois fondamentales du royaume, et la France sut rester catholique, en maintenant, par une déclaration solennelle, rendue sous les bayonnettes espagnoles, l’exclusion perpétuelle des étrangers de la couronne. L’arrêt du 28 juin 1593 est l’un des actes les plus glorieux de la vieille magistrature[2]. Il empêcha une résistance long-temps légitime de

  1. Satire ménippée, harangue de M. Daubrai pour le tiers-état,
  2. « Sur la remontrance faite par le procureur-général du roi, et la matière mise en délibération, la cour n’ayant, comme elle n’a jamais eu, d’autre intention que de maintenir la religion catholique, apostolique et romaine, en l’estat et couronne de France, sous la protection d’un roi très chrétien, catholique et français, a ordonné et ordonne que remontrances seront faites, cette après-dinée, par M. le président Le Maître, assisté d’un bon nombre de ladite cour, à M. le lieutenant-général de l’estat et couronne de France, en présence des princes et officiers de la couronne, estant de passage en cette ville, à ce qu’aucun traité ne se passe pour transférer la couronne en la main des princes et princesses étrangères, que les lois fondamentales de ce royaume seront gardées, et les arrêts donnés par ladite cour pour la déclaration d’un roi catholique et français soient exécutés, et qu’il ait à employer l’autorité qui lui est commise pour empêcher que, sous prétexte de la religion, la couronne ne soit transférée en main étrangère, contre les lois du royaume, et pour venir, le plus promptement que faire se pourra, au repos du peuple, pour l’extrême nécessité duquel il est rendu ; et néanmoins dés à présent a déclaré et déclare les faicts et ceux qui le seront cy-après pour l’établissement d’un prince et d’une princesse étrangère nuls, et de nul effet et valeur, comme faicts au préjudice de la loi salique et autres lois fondamentales du royaume. » (Journal du règne de Henri IV, par Pierre de l’Etoile, t. 1er, p. 368.)