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certaines chansons de Béranger, où des sujets analogues aux siens sont traités avec un art dont les poètes politiques d’Allemagne ont grand tort de se croire dispensés. Je lui rappelais cette belle ballade des Contrebandiers, dans laquelle les sentimens exprimés chez M. Herwegh par une vaine et bruyante rhétorique sont rendus avec tant de vie, de mouvement, d’originalité. Eh bien ! je trouve chez M. Freiligrath plusieurs essais fort heureux de cette poésie plus haute qui manque à ses devanciers, et à laquelle cependant plus d’un parmi eux serait digne d’atteindre. Au lieu de répéter en des variations interminables le thème, le motif adopté, le poète s’est exercé à une composition vive et nette ; il a essayé de mettre en relief, par quelque tableau habilement imaginé, les idées qu’il veut répandre. Ce sont des ballades, des élégies, de petits drames, courts, nets, bien conduits, bien terminés, et d’où la pensée jaillit avec lumière. Ce talent de composition que M. Freiligrath avait montré d’abord dans des peintures chargées de couleurs trop fortes et que n’illuminait aucune idée, il l’applique cette fois aux sentimens nouveaux qui l’animent. On peut vraiment louer sans réserve cinq ou six ballades de ce genre, en regrettant seulement que l’auteur abandonne si tôt, et pour ne plus la retrouver, l’heureuse veine qu’il a découverte. M. Daniel Stern a indiqué ici, d’une main délicate, la douce et triste ballade de Rübezahl ; je n’ai rien à ajouter, mais je signalerai les autres pièces qui viennent se joindre à cette élégie lugubre, et forment avec elle un chœur désolé dont les plaintes pénétreront plus avant que les rimes sonores des couplets belliqueux.

C’était une excellente idée de nous peindre d’une manière si dramatique et si naïve les malheurs de la Silésie, la détresse du peuple, l’affreuse misère des pauvres tisserands. L’enfant de l’ouvrier a entendu conter, hier soir sans doute, la vieille légende de Rübezahl, du bienfaisant génie de la montagne, et le lendemain, en portant sa toile à la ville, il s’arrête dans la bruyère, il appelle le bon génie, le sauveur du pauvre paysan : « Rübezahl ! Rübezahl ! Il va venir, pense-t-il ; il m’achètera ma toile, car nous ne sommes pas des mendians, nous ne demandons que le salaire de notre ouvrage. Si cette toile lui convient, il en voudra d’autres, et nous en avons de si belles à la maison ! Alors mon père ne jurera plus ; ma mère ne sera plus si triste, si désolée. Rübezahl ! Rübezahl ! » Il appelle toujours, mais Rübezahl ne vient pas, et l’enfant découragé, désespéré, éclate en sanglots qui fendent le cœur, car à qui se confier maintenant ? à quel sauveur s’adresser si Rübezahl lui-même abandonne le pauvre tisserand ? Il y a dans tout