Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il doit s’avouer vaincu par les pieux missionnaires wesleyens, des deux fameuses sociétés abolitionistes de Londres, qui ont pour chefs les plus riches lords du royaume-uni. Endoctriner les esclaves dans l’île même, embaucher les nègres sous les yeux des autorités, ce sont là des menées pleines de périls pour qui les entreprend, et que, d’un instant à l’autre, on peut déjouer, pour peu qu’on ait de vigilance. Il vaut bien mieux s’emparer de l’esclave avant qu’il ait mis le pied dans la colonie ; il vaut bien mieux, avant même que le négrier ait accompli sa hideuse presse, pénétrer le nègre de tous les sentimens qui, plus tard, le pousseront à la révolte dans les ingenios espagnols.

Le 10 mars 1843, le Morning-Herald racontait avec complaisance l’accueil empressé, bienveillant qu’avaient fait aux missionnaires anglais, dans l’intérieur de l’Afrique, non loin des sources du Niger, les rois sauvages des pays où s’exerce l’abominable industrie du négrier. Ces missionnaires, disait le Morning-Herald, s’étaient donné pour mission de civiliser l’Afrique ; il convient de ramener à ses proportions véritables une si ambitieuse prétention. Les abolitionistes de Londres n’ont rien fait pour la civilisation en Afrique ; la seule haine du maître qui peut un jour les acheter, voilà ce qu’ils ont inculqué aux nègres de Dahomey, de Bénin, d’Ashanti, qui plus tard viennent peupler les habitations de Cuba. Ces nègres sont dès-lors des instrumens tout façonnés pour la révolte, et il est hors de doute que, si la Grande-Bretagne essayait enfin de réunir Cuba à la Jamaïque, elle aurait en eux des alliés déterminés, intrépides, qui ne reculeraient ni devant les excès ni devant les périls. Dans les premiers temps, les colons de Cuba tombaient de leur haut quand ils entendaient le nègre, complètement étranger du reste à la civilisation européenne, bégayer dès sa sortie du bâtiment négrier des paroles anglaises, des phrases toutes faites empruntées aux missionnaires wesleyens. Ils savent aujourd’hui où et comment il a pu les apprendre ; ils voient clairement dans quel but le méthodiste de Londres est allé les lui enseigner.

D’une telle conviction, maintenant bien arrêtée, nous ne voulons pour preuve que l’énergique représentation adressée au capitaine-général don Leopoldo O’ Donnell par les principaux colons de Matanzas, avant même qu’on eût découvert la conspiration de la Savanilla. Nous avons sous les yeux ce document remarquable, que l'Imparcial de Barcelone a publié le 24 février 1844. Les colons de Matanzas faisaient nettement ressortir les périls de la situation, les périls auxquels on venait d’échapper, et qui, dans l’avenir, devaient nécessairement se reproduire ; ils suppliaient le capitaine-général de réprimer par tous les moyens possibles