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qu’importerait, après tout, que dès demain l’abolition absolue du trafic amoindrît même de moitié la richesse de l’île ? Ce ne serait là qu’une considération extrêmement secondaire ; le vrai problème, celui qu’il s’agit de trancher aujourd’hui, c’est la question de savoir si, pour ne point tout perdre, on est disposé à sacrifier quelque chose. Au surplus, M. Saco le démontre jusqu’à l’évidence dans la seconde partie de son livre, de telles craintes ne sont que de pures chimères : qu’une administration intelligente appelle enfin sérieusement, sinon dans les hautes régions où elle tranche les affaires, du moins dans ses conseils, les enfans même de l’île, ceux qui ont les plus grands, les plus nombreux intérêts au développement de la prospérité coloniale, et non seulement Cuba se lavera de cette souillure du trafic des nègres, qui maintenant lui est commune avec le seul Brésil, mais le travail des ouvriers libres, la colonisation européenne, en feront pour la métropole une telle source de richesse, que celle-ci n’en sera plus à regretter d’avoir perdu le Mexique ou le Pérou.

C’est la culture de trois plantes, le sucre, le tabac, le café, qui de nos jours constitue l’industrie de Cuba. Pour le tabac et le café, pas la moindre difficulté : les plus déterminés partisans de la traite sont forcés d’avouer que l’une et l’autre plantes peuvent prospérer à Cuba sans le secours des noirs. C’est la culture du sucre qui forme tout le problème ; s’il en faut croire les trafiquans de nègres, à l’instant même où l’on aura supprimé la traite, sonnera la dernière heure de l’industrie sucrière ; à les entendre, une telle industrie comporte de si rudes fatigues, un si dur travail, que la race africaine y peut seule résister ; cette race est la seule qui puisse pleinement se développer sous le soleil des Antilles ; les races européennes s’y établiraient d’ailleurs sans obstacle, que pas un planteur ne serait en état de payer le salaire que ne manqueraient point d’exiger les ouvriers blancs. Chacune de ces trois objections subit, dans le livre de M. Saco, une réfutation complète ; nous ne concevons pas, pour notre compte, qu’on les puisse désormais reproduire de manière à faire illusion.

L’industrie sucrière se compose, on le sait, de procédés compliqués et bien différens les uns des autres ; il faut distinguer entre le travail agricole ou la culture de la canne et la fabrication même du sucre. Le travail agricole demande fort peu de soins et de peines ; combien de professions et de métiers, exercés par les blancs aux Antilles, qui exigent incomparablement plus de fatigues ! N’est-ce pas, du reste, un fait constaté, que les cannes à sucre consommées à l’état naturel comme toute autre espèce de fruits, ce sont des blancs qui en grande