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pressent elle-même le danger, c’est qu’elle n’a pas osé appliquer les nouvelles mesures durant l’hiver de 1846 ; elle attend le retour de la belle saison. Dieu veuille que la surveillance des tours n’amène point sur la tête des mères et des nouveau-nés d’autres maux plus graves encore ! Dieu veuille qu’on ne remplace pas l’hospice des Enfans-Trouvés par la cour d’assises[1] ! L’état disait autrefois avec le Christ : Laissez venir à moi les petits enfans ! Il se réserve maintenant de laisser venir à lui ceux qu’il voudra et de repousser les autres. Une telle limite arbitraire, un tel choix, mis à la place d’une institution libérale, où tous étaient appelés, où tous étaient élus, est bien fait pour soulever quelques terreurs, quand on songe que ces enfans exclus seront peut-être repoussés dans la souffrance ou dans la mort. Que nous dit l’administration pour nous rassurer ? — Les hospices augmentent le nombre des victimes au lieu de le diminuer, car la mortalité des enfans trouvés est telle que l’abandon d’un nouveau-né dans le tour est un infanticide indirect. — On voit d’ici quelle grave responsabilité un tel aveu fait peser sur les hommes qui dirigent ces établissemens. Quelle consolation en outre que celle qui consiste à remplacer un danger de mort par un autre, et à mettre, pour ainsi dire, la conscience entre deux glaives !

Tout n’est pas blâmable cependant, il faut le reconnaître, dans les vues de l’administration des hospices. Il faut tenir compte aussi de sa position difficile. Depuis quelques années, la ville de Paris se plaint de ce que les quatorze départemens voisins, qui ont fermé leurs tours, font refluer sur elle un nombre considérable d’expositions étrangères. L’inconvénient est grave : il accuse le besoin d’une juridiction uniforme pour le service des enfans trouvés dans tout le royaume. Il

  1. Le projet de réforme, dicté par un intérêt tout fiscal et admis à la hâte, était de nature à soulever des craintes sérieuses. L’administration des hospices, prévoyant l’effet de ces craintes, a entrepris de calmer l’opinion et la conscience des hommes éclairés qui avaient adopté, sur sa demande, une mesure si grave. Il faut bien le dire, cette administration met du secret partout, même dans sa publicité. Une brochure où sont démenties les accusations qu’une voix éloquente venait de faire entendre devant le conseil-général de Saône-et-Loire n’a été distribuée qu’en très petit nombre. M. de Lamartine avait prononcé en faveur des tours un plaidoyer généreux, mais chargé, par malheur, de faits inexacts. Ce sont ces faits que M. Boicerboise, administrateur des Enfans-Trouvés, a voulu combattre. Ce démenti timide une fois donné, on crut avoir répondu. Nous ne suivrons pas le conseil des hospices dans le demi-jour de cette discussion : un fait domine seul tout le nouveau système ; ce fait, c’est le droit de contrôle substitué au libre exercice des expositions.