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On se montre enchanté de la douleur qui accompagne chez la jeune fille séduite l’abandon de son nouveau-né. A nos yeux, ce supplice est injuste en ce qu’il frappe deux victimes, là où il n’y a qu’une seule volonté coupable. La femme a péché, soit ; mais a-t-il péché, ce pauvre enfant qui tend ses petits bras à la vie ? Ce sont d’ailleurs les moins criminelles qui souffrent le plus d’un pareil sacrifice. Le tour ne punit donc en définitive que l’innocence ou le remords. Est-il vrai encore que cette institution conserve la honte nécessaire aux bonnes mœurs ? « Chez nous, on sait encore rougir ! » s’écrie l’abbé Gaillard, émerveillé de ce résultat dont il fait honneur à l’existence des tours. — Chez nous aussi, on sait exposer et tuer au besoin le fruit de ses entrailles : nous aimerions mieux moins de rougeur et plus d’humanité. Écartons cette odieuse doctrine qui tend à faire d’une première faute une nécessité pour la femme de renoncer aux devoirs de la nature. La morale chrétienne, toute de tolérance et de pardon, ne peut exiger une telle immolation du cœur. Il est urgent de faire comprendre à ces filles trompées que la faute n’est pas dans la naissance de leur enfant, et que, si cette faute peut être rachetée devant l’opinion, c’est surtout par l’accomplissement des devoirs de mère. Faire de l’exercice de ces devoirs un commencement de réhabilitation pour les filles déchues, c’est leur ouvrir une source nouvelle d’innocence retrouvée, bien préférable, selon nous, à ce repentir stérile qui entraîne parfois l’enfant à l’hospice et la mère au fond d’un cloître. En rattachant la femme au sentiment de la maternité, on la rattache au sentiment de la vertu : Dieu a mis le germe du pardon dans la faute. Beaucoup de filles-mères que l’abandon de leur enfant délivre d’un frein, d’une occupation morale, auraient arrêté le cours de leurs désordres si elles avaient eu la présence de cet enfant pour les retenir, si un amour nouveau avait remplacé dans leur cœur celui qui les égare. On oppose à cette vérité des exceptions ; sans doute il y a quelques femmes perdues qui gardent auprès d’elles leur très jeune fille pour lui faire suivre la trace de leurs dérèglemens. Il ne faut pas s’arrêter à ces exemples, Dieu merci, assez rares. En général, ces mères étourdies qui savent ce qu’on souffre dans le vice cherchent à éviter à l’être qui leur doit la vie la même expérience et les mêmes égaremens. Les enfans sont les anges gardiens de la vertu régénérée des filles-mères. Comptez-vous d’ailleurs pour rien d’épargner à ces malheureuses le remords d’une lâche action ? L’exposition, qui est un délit devant la loi, est un crime devant la nature. De quoi rougiront-elles si elles ne rougissent pas de cela ? Il est temps d’établir sur les ruines du tour ce principe dicté par