tromper, puisqu’ils s’adressent à leurs agens mêmes, ou ceux-ci à eux, et au sujet des faits ou des desseins qu’il leur importe le plus, à tous, de bien connaître. Quant aux époques antérieures, où la plupart de ces pièces manquent, on en est réduit à des conjectures. Appliquant à ses propres travaux les conditions qu’il exige, et s’aidant de toutes les ressources dont il dispose, M. Mignet est ainsi parvenu à réunir pour base de son Histoire de la Réformation jusqu’à 400 volumes de correspondances manuscrites de toutes sortes : il y a là de quoi fixer avec précision bien des ressorts secrets, et couper court à bien des controverses. Et, en général, on voit M. Mignet s’appliquer constamment à tirer l’histoire de la région des doutes et des accidens, de la sphère du hasard, et viser à l’élever jusqu’à la certitude d’une science.
L’exemple remarquable qu’il a donné en mettant au jour les Négociations relatives à la Succession d’Espagne sous Louis XIV[1] est une innovation des plus démonstratives et des plus heureuses. Sous air de publier un simple recueil de dépêches, il a trouvé moyen de dresser toute une histoire politique du grand règne. M. Mignet a plus fait pour Louis XIV que tous les panégyristes : il nous a ouvert l’intérieur de son cabinet et l’a montré au travail comme roi, judicieux, prudent dès la jeunesse, invariablement appliqué à ses desseins et ne s’en laissant pas distraire un seul instant, au cœur même des années les plus brillantes et du sein des pompes et des plaisirs. On a beaucoup disputé pour ou contre la valeur personnelle de Louis XIV ; dans ce curieux procès qui s’est débattu depuis l’abbé de Saint-Pierre jusqu’à Lemontey et au-delà, chacun prenait parti selon ses préventions et tranchait à sa guise. Depuis la publication de M. Mignet, il n’y a plus lieu, ce me semble, qu’à un jugement unique. Il est surtout une époque bien mémorable de son règne, celle qui précède la paix de Nimègue (1672-1678), dans laquelle Louis XIV ne partage avec personne le mérite d’avoir conduit sa politique extérieure : il avait perdu son habile conseiller, M. de Lionne, en 1671 ; M. de Pomponne, qui lui succédait, homme aimable, plume excellente, le charme des sociétés de Mmes de Sévigné et de Coulanges, n’était pas en tout, à beaucoup près, un remplaçant de M. de Lionne, ni du même ordre politique ; il manquait de fertilité et d’invention. Il y avait bien encore Louvois, l’organisateur de la guerre, l’administrateur essentiel et vigilant,
- ↑ Dans la collection des Documens historiques ; il y a jusqu’ici quatre volumes in-4o publiés (1835-1842) : l’ouvrage entier en aura probablement huit.