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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/1107

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mais avec tous les inconvéniens de son caractère. Servi par eux, Louis XIV sut se guider lui-même, choisir et trouver ses voies, suffire à tout, réparer les fautes, diviser ses adversaires, ne rien relâcher qu’à la dernière heure, et, à force de suite, d’artifice et de volonté, enlever à point nommé la paix la plus glorieuse.

Que pourtant cette habileté de Louis XIV, comme politique, fût de première portée et de la plus grande volée, je ne le croirai pas, même après ces solides témoignages : elle se bornait trop à l’objet de son ambition présente et n’envisageait pas assez le lendemain. Là est la distance qui sépare Louis XIV de Richelieu et des vrais génies. Ce rare bon sens de détail, cette habileté persévérante d’application, qui ressortent si visiblement des pièces produites par M. Mignet, diminuent bien de prix, lorsqu’embrassant l’ensemble du règne, on les voit mener en définitive à de si déplorables résultats et à de si cuisans retours. Ainsi, dans cette première lutte avec la Hollande et pendant les années qui la préparent (1668-1672), on peut admirer l’art profond avec lequel le roi isole à l’avance ce petit peuple et le sépare successivement de tous ses alliés, pour l’écraser ensuite ; mais patience ! la Hollande aux abois et son héros le prince d’Orange tourneront à la longue toute l’Europe contre la France. Un homme de passion et de génie sortit de ces flots par lesquels il avait sauvé son pays, et c’est Guillaume III qui a suscité Marlborough et tous les succès de la reine Anne. La hauteur personnelle de Louis XIV et ses ténacités d’orgueil compliquèrent toujours et traversèrent plus ou moins la vue de ses vrais intérêts comme roi ; son rare bon sens, en se mettant au service de cette passion personnelle, ne la dominait pas assez. On en a vu, depuis, de plus grands que lui ne pas éviter pareil écueil et finalement s’y briser.

On jouit, grace à M. Mignet, de lire dans ces intérieurs de conseils, de percer le secret des choses et d’en pouvoir raisonner. Cette publication met, en quelque sorte, la diplomatie[1] à la portée de ceux qui ne bougent pas de leur fauteuil, et l’offre en spectacle et en sujet de méditation à l’homme d’étude et au moraliste ; elle leur permet de saisir le fin du jeu et d’en extraire la philosophie à leur usage. Tous ceux qui, sans mettre le doigt aux affaires du monde, aiment à tout

  1. Ici et dans tout ce qui suivra, il est bien entendu que je ne parle que de l’ancienne diplomatie : quant à la nouvelle, là où il existe encore telle chose qu’on doive appeler de ce nom, je suis disposé à faire en sa faveur toutes les exceptions qu’on pourra désirer.