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distance. Sir Robert Peel a des collègues et des alliés politiques, mais il n’a pas d’amis. De là vient que, dans toutes les circonstances où il faudrait agir par la persuasion, il est réduit aux coups de tonnerre.

A peine rentré au pouvoir, le premier ministre a déjà repris ses allures de sphinx. On ne savait pas très clairement ce qu’il voulait avant la crise ; on sait encore moins ce qu’il se propose de faire depuis. Demandera-t-il au parlement l’abolition complète et immédiate de tout droit d’importation sur les grains étrangers, ou bien se ralliera-t-il, comme l’annoncent quelques journaux, à un système d’abolition graduelle ? Ses collègues l’ignorent peut-être encore, et en sont là-dessus au même point que le public. Cependant, le caractère de sir Robert Peel étant donné, on peut raisonnablement conjecturer qu’il ne s’arrêtera pas à moitié chemin, et que ses plans pècheront moins par la timidité que par la hardiesse. Ajoutons que la retraite de lord Stanley n’aurait pas de sens dans le cas où sir Robert Peel voudrait laisser subsister, ne fût-ce que pour un temps, la législation actuelle. Le représentant de la maison de Derby quitte évidemment le cabinet pour ne prendre aucune part à une mesure que l’aristocratie juge funeste à ses intérêts, et cette mesure ne peut être que la liberté du commerce des grains.

Dans la pensée de sir Robert Peel, l’abrogation des lois sur les céréales paraît se lier à un remaniement complet de l’assiette de l’impôt. Le premier ministre veut donner des compensations à la propriété foncière en la dépouillant de ses privilèges ; on parle de la suppression de la taxe sur la drêche, ou des taxes de comtés, qui seraient désormais imputées sur les fonds généraux de l’état. D’autres supposent que sir Robert Peel va faire main-basse sur l’excise, affranchir par conséquent de tout impôt les boissons spiritueuses, pour augmenter en revanche le tarif de l'income-tax ; mais on ne raie pas ainsi d’un trait de plume des ressources dont le produit annuel s’élève à 300 millions de francs. Quoi qu’il en soit des détails, la pensée est certaine. La réforme, telle que sir Robert Peel la conçoit, a deux parties essentielles pour chacune desquelles il compte apparemment sur une majorité différente, espérant faire passer l’abolition des lois sur les céréales à l’aide des whigs, et les mesures de compensation à l’aide des tories. Au fond, le problème qu’il se pose est celui-ci : rendre hommage aux principes, sans irriter ni froisser les intérêts. Pour cela, il faut rendre à l’aristocratie d’une main ce qu’on lui enlèvera de l’autre : le gouvernement