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recueillement intérieur, et malgré elle ses regards erraient sur ce qui l’environnait avec une pénible curiosité.

Le jour finissait, et le crépuscule qui tombait des fenêtres éclairait à peine l’enceinte du chœur. Les religieuses, droites dans leurs stalles, les yeux à demi fermés, leur formulaire à la main, psalmodiaient de mémoire l’office que la règle les obligeait à réciter chaque jour. À travers la grille qui séparait le chœur de l’église, on distinguait une partie de la nef, faiblement éclairée par la lampe qui brûlait devant le maître-autel. Quelques femmes dévotes, agenouillées au pied de la sainte table, disaient leurs oraisons en grelottant, et faisaient les répons aux religieuses. À l’un des angles du chœur et près de la grille s’élevait un petit autel entouré de symboles funéraires, et sur lequel brûlait un lumignon dont le pâle rayonnement faisait apercevoir l’effigie en miniature d’un corps au cercueil, enveloppé de son suaire, le front ceint de palmes et le crucifix entre les mains. Lorsque Anastasie eut aperçu cette sinistre image, elle n’en détourna plus ses regards ; c’était pour elle comme une énigme funèbre dont elle cherchait à deviner le mot. Une des novices s’aperçut de sa distraction, et lui dit à voix basse en la poussant du coude : — Faites attention, ma chère sœur ; on va se lever pour le Vexilla regis.— Et, comme Anastasie lui montra la lugubre figure et l’interrogea du regard, elle ajouta : — C’est l’image de notre saint fondateur, le père Ivan, dont nous avons le bonheur de posséder les reliques. Il est enterré là, dans l’épaisseur de la muraille.

— Dieu ! c’est un tombeau ! murmura Anastasie, frappée d’une vague épouvante et attristée de ce sombre voisinage ; mais presque au même instant elle fut distraite de cette pénible impression par quelqu’un qui venait d’entrer dans l’église et qu’elle put apercevoir à travers la grille : c’était le cadet de Colobrières. Après avoir erré toute la journée dans les rues de la grande ville avec le mélancolique ennui d’un pauvre étranger qui ne sait que devenir au milieu de ce chaos splendide et boueux, il venait, harassé de fatigue et transi de froid, se reposer dans la maison du bon Dieu, en attendant l’heure de se rendre au parloir du couvent de la Miséricorde. Anastasie fut tout à coup consolée en apercevant son frère ; elle commençait à éprouver les compensations qu’il y a dans la vie monastique et à sentir le prix infini que donne aux moindres satisfactions la répression continuelle de tous nos désirs, de toutes nos volontés, de tous nos penchans. Une douce émotion fit battre son cœur ; ses yeux, qui, dans cette journée, avaient été si souvent mouillés de larmes amères, répandirent des