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s’il fait la traite, et l’enquête nécessaire pour vérifier si le bâtiment suspect appartient en réalité à la nation dont il porte le pavillon ?

Les Américains n’ont pas compris cette distinction : on peut s’en convaincre en relisant le message du président des États-Unis, que j’ai cité plus haut. Les instructions données aux croiseurs anglais, en vertu de la convention que j’examine, disent assez vaguement qu’au besoin on engagera le vaisseau soupçonné à amener, afin de pouvoir vérifier sa nationalité, qu’on sera même autorisé à l’y contraindre, que l’officier qui abordera le navire étranger devra se borner à s’assurer de la nationalité de ce navire par l’examen des papiers de bord ou par toute autre preuve. Or, après l’examen des papiers et l’enquête orale, il n’y a qu’un genre de preuve, c’est celle qui consiste dans la visite de la cargaison[1]. C’est là précisément ce qui constituait l’ancien droit de visite, et c’est ce qui l’a rendu intolérable. Les recherches faites pour discerner si un bâtiment de commerce ne cache pas sa nationalité sous un faux pavillon pourront donc avoir les mêmes formes, les mêmes inconvéniens que les recherches faites pour découvrir si un bâtiment suspect fait la traite.

On se demandera sans doute, d’après ce qui précède, comment il a été possible de soutenir que notre commerce allait être à l’avenir replacé sous la surveillance exclusive de notre pavillon. Une phrase des instructions données aux croiseurs anglais semble, à la vérité, justifier cette assertion : « Vous ne devez, leur dit-on, ni capturer, ni visiter les navires français, ni exercer à leur égard aucune intervention, et vous donnerez aux officiers sous votre commandement l’ordre formel de s’en abstenir ; » mais cette prétendue concession est aussitôt détruite par la phrase suivante que je transcris : « En même temps, vous vous rappellerez que le roi des Français est loin d’exiger que le pavillon français assure aucun privilège à ceux qui n’ont pas le droit de l’arborer, et que la Grande-Bretagne ne permettra pas aux vaisseaux des autres nations d’échapper à la visite et à l’examen en hissant un pavillon français, ou celui de toute autre nation, sur laquelle la Grande-Bretagne n’aurait pas, en vertu d’un traité existant, le droit de visite. » Cette prétention de l’Angleterre, long-temps repoussée par la France, a été admise par la convention de 1845, et

  1. Les instructions données en 1844 par le gouvernement anglais pour la visite des navires soupçonnés d’arborer un faux pavillon ne laissent aucun doute à cet égard. Il y est dit formellement : « Si les investigations donnaient des motifs suffisans de penser que le pavillon arboré par le navire a été frauduleusement pris par lui, vous procéderez à l’examen du bâtiment et de la cargaison. »