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raux, parce qu’elle tue l’essor intellectuel du pays. Grace à la contrefaçon, la Belgique ne compte que deux ou trois écrivains marquans. Si ces deux partis ont jusqu’à présent toléré, quelquefois même protégé la contrefaçon, c’est qu’ils voulaient s’en faire un bouclier contre la France : le premier, dans une pensée d’isolement systématique ; le second, dans l’intérêt de ces étroites susceptibilités qui long-temps lui ont fait voir dans chacune de nos exigences une menace, et dans chacun de nos essais d’union commerciale l’arrière-pensée d’absorber la Belgique politiquement. Néanmoins ce double préjugé s’est singulièrement modifié dans ces derniers temps. Les catholiques reviennent de leurs aberrations prohibitionistes, comme le témoigne leur récente adhésion au projet de loi qui vient d’ériger Anvers en entrepôt franc. Les catholiques ne sont plus d’ailleurs prépondérans. Quant au parti libéral, il commence à trouver ridicule ce rôle de débiteur ombrageux qu’il a pris si long-temps à l’égard de la France. Quatre ans d’opposition à la politique teutomane de M. Nothomb l’ont habitué à étudier et à prôner la nécessité de l’alliance française. Il vient de se passer à cet égard un fait très significatif. En journal catholique ayant reproché, le mois dernier, à MM. Lebeau et Rogier d’avoir refusé, en 1840, l’union avec la France, que leur offrait M. Thiers, les journaux qui reçoivent d’habitude les inspirations de ces deux hommes d’état se sont récriés très vivement contre cette accusation : preuve évidente que MM. Lebeau et Rogier ne visent plus à la mériter. Après tout, à défaut de la bienveillance et de la bonne foi, nous pouvons invoquer la nécessité. Au mois de juillet 1844, une députation déclarait au roi Léopold que l’industrie linière belge ne pouvait exister que par le maintien des traités avec la France. Sachons nous en prévaloir. Ce sera dès-lors aux chambres belges de décider si une quinzaine de contrefacteurs, employant tout au plus un millier de bras, ont des droits plus sacrés qu’une industrie qui, outre onze filatures à la mécanique, fait vivre 280,396 fileuses et 94,700 tisserands.

Comme nous le disions il y a quinze jours, la fin de l’année, pour la Bourse, a été avancée d’un mois. Depuis la liquidation de novembre, les affaires ont pris un aspect plus rassurant, et enfin les adjudications des chemins de Creil à Saint-Quentin et de Lyon sont venues rendre à la place la vie et l’espérance, qui semblaient presque l’avoir abandonnée. Si rien ne disparaît plus rapidement, rien aussi ne renaît plus vite que la confiance des spéculateurs. Hier encore on tremblait, on se défiait, on revenait des illusions des chemins de fer ; aujourd’hui le vent a changé ; à l’effroi succède la faveur, et voici les promesses d’actions aussi recherchées qu’elles étaient abandonnées la veille. Faut-il se féliciter beaucoup de retours aussi brusques ? Cet engouement qui succède si vite à la défiance ne trahit-il pas beaucoup d’irréflexion, de légèreté, et une bien faible connaissance du fond des choses ? Il faut reconnaître néanmoins qu’en ce qui touche le chemin de Lyon ce revirement subit peut s’expliquer. Par les conditions favorables de son adjudication, et par les avantages évidens de sa ligne, ce chemin mérite les