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Comme les serrures de l’auberge où je suis descendu m’ont paru fort peu solides, j’ai, par précaution, emporté sur moi toute ma fortune.

— Nous la garderons ici ; c’est plus sûr encore, dit la mère Angélique. Je vais enfermer l’argent et les joyaux dans la caisse de la communauté.

À ces mots, elle se leva, et ouvrit, avec une clé qu’elle tira de sa poche, les doubles serrures d’une armoire pratiquée dans l’épaisseur de la muraille. Anastasie, ayant tourné machinalement la tête de ce côté, éprouva à peu près le même étonnement qu’Agathe de Colobrières lorsqu’elle avait aperçu jadis les écus de six francs et les louis d’or qui s’échappaient à flots de la valise entr’ouverte de Pierre Maragnon. — Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, que de richesses !

— C’est le trésor de notre pauvre couvent, répondit la mère Angélique avec un sourire satisfait ; c’est l’argent que nous amassons pour le partager avec les maisons de l’ordre où l’on ne sait pas travailler comme dans la nôtre. La famille de Notre-Dame de la Miséricorde est nombreuse et nécessiteuse. Celles qui y sont admises prennent l’engagement de travailler toute leur vie pour le prochain. Outre les trois vœux de religion, elles en font un quatrième, celui de recevoir toutes les filles de qualité qui, ne pouvant s’établir dans le monde et n’ayant pas même une dot suffisante pour entrer dans un autre couvent, viennent se réfugier à la Miséricorde. Il s’en présente beaucoup, mon enfant, et il faut faire subsister cet innocent troupeau. La sainte Providence et le travail de nos chères sœurs y pourvoient. Selon l’esprit de la règle, leur vie est mêlée d’action et de contemplation ; elles passent chaque jour une heure dans le chœur, et le reste du temps elles l’emploient à confectionner les parures mondaines dont vous voyez ici le prix ; l’intention sanctifie l’œuvre, et le démon ne se réjouit pas lorsque la vanité du siècle fournit le pain quotidien aux servantes de Dieu.

— Mais, ma chère mère, dit Anastasie, pourquoi ne travaille-t-on pas ainsi dans toutes les maisons de l’ordre ?

— Parce qu’il y a des monastères où l’on mène la vie de contemplation de préférence à la vie d’action, répondit simplement la mère Angélique ; il y a plusieurs voies qui mènent au salut : sainte Marthe et sainte Marie sont allées également au ciel.

Huit heures sonnèrent en ce moment. La supérieure se leva.

— La récréation du soir est finie, dit-elle ; voilà nos sœurs qui vont à l’oraison. Ma fille, donnez le bonsoir à votre frère.

— Hélas ! déjà ! murmura le cadet de Colobrières.