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— Bonsoir, mon frère, bonsoir, Lambin, dit Anastasie en étendant ses deux mains frêles à travers la grille. Adieu… et à demain, Gaston ; ma chère mère vous donne la permission de revenir.

— Oui, tous les jours, ajouta la mère Angélique ; que Dieu vous garde, mon cher enfant !

La présence du cadet de Colobrières avait un moment consolé Anastasie ; mais dès qu’il se fut éloigné, dès qu’elle se retrouva dans ce long corridor sombre peuplé de figures de saintes qui semblaient se dresser sur son passage, en lui montrant les attributs de leur martyre, elle retomba dans une horrible tristesse.

L’oraison du soir ne durait guère qu’un quart d’heure. Dès qu’elle fut dite, les religieuses se retirèrent en silence dans leurs cellules. Anastasie monta au quartier des novices, et entra avec elles dans leur dortoir. Une sœur converse ouvrit la porte de la dernière cellule, alluma la lampe de fer accrochée au mur, salua Mlle de Colobrières d’un Ave Maria, et la laissa seule dans ce réduit.

Les cellules étaient arrangées avec la même simplicité que le reste de la maison : un prie-Dieu, une table, une chaise, un lit sans rideaux et quelques images placardées contre la muraille composaient tout le mobilier, lequel rappelait jusqu’à un certain point la chambrette qu’Anastasie occupait chez son père, et où avait dormi une nui ! Mlle Maragnon. La triste jeune fille leva machinalement les yeux pour chercher le chardon de sinople, les chérubins aux ailes éployées qui jadis lui souriaient à son réveil, et, en apercevant les solives noires qui barraient le plafond et les images qui grimaçaient contre la muraille, elle se prit à pleurer amèrement, et à se rappeler, avec des transports de douleur, le toit lézardé du château paternel. Il lui semblait qu’une distance que sa pensée ne pouvait mesurer séparait Colobrières des lieux où on l’avait amenée, et qu’elle vivait dans un autre hémisphère, sur une terre que n’éclairaient pas les mêmes astres. Par un naïf mouvement, elle courut à la fenêtre, et regarda le ciel. Le vent avait dissipé les nuages, l’atmosphère était pure, les étoiles scintillaient comme de sombres diamans, et, brillante entre toutes, la constellation d’Orion jetait ses feux tremblans dans le noir azur des espaces infinis. Anastasie reconnut avec une sorte de transport le signe radieux vers lequel elle avait si souvent élevé ses regards lorsqu’elle se promenait le soir sur la plate-forme du château. Il lui sembla qu’un rayon de ces tranquilles clartés descendait sur elle, et répandait dans son ame affligée une consolante sérénité. Elle referma doucement sa fenêtre, et fit lentement le tour de sa cellule, comme pour se familiariser avec tous les