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qu’il me donne de son existence, comme je ne puis concevoir un être que par ses attributs, une cause que par ses effets, comme je ne me conçois moi-même que par l’exercice de mes facultés. Otez mes facultés et la conscience qui me les atteste, je suis pour moi comme si je n’étais pas. Il en est de même de Dieu : ôtez la nature, et, mon ame n’apercevant plus nul signe de Dieu, je n’y songe pas même. C’est donc dans la nature et dans l’ame qu’il faut le chercher et qu’on peut le trouver…

Telle est notre théodicée : elle rejette les excès de tous les systèmes, et elle contient, nous le croyons au moins, tout ce qu’ils ont de bon. Au sentiment elle emprunte un Dieu personnel comme nous sommes nous-mêmes une personne, et à la raison un Dieu nécessaire, éternel, infini. En présence de deux systèmes opposés, l’un qui, pour voir et sentir Dieu dans le monde, l’y absorbe, l’autre qui, pour ne pas confondre Dieu avec le monde, l’en sépare et le relègue dans une solitude inaccessible, elle leur donne à tous les deux une juste satisfaction en leur offrant un Dieu qui est en effet dans le monde, puisque le monde est son ouvrage, mais sans que son essence y soit épuisée, un Dieu qui est tout ensemble unité absolue et unité multipliée, infini et vivant, immuable et principe du mouvement, suprême intelligence et suprême vérité, souveraine justice et souveraine bonté, devant lequel le monde et l’homme sont comme le néant, et qui pourtant se complaît dans le monde et dans l’homme, substance éternelle et cause inépuisable, impénétrable et partout sensible, qu’il faut tour à tour rechercher dans la vérité, admirer dans la beauté, imiter à une distance infinie dans la bonté et dans la justice, vénérer et aimer, étudier sans cesse avec un zèle infatigable et adorer en silence !…

« Cette doctrine est si simple, elle est tellement dans toutes nos puissances, elle est si conforme à tous nos instincts, qu’elle paraît à peine une doctrine philosophique ; et en même temps, si vous l’examinez de plus près, si vous la comparez avec tous les systèmes célèbres, vous trouverez qu’elle s’en rapproche et qu’elle en diffère, qu’elle n’est absolument aucun d’eux et qu’elle les embrasse tous et les représente précisément par le côté qui les recommande à l’attention de l’histoire. Bien imparfaite encore, œuvre incomplète des méditations et de l’enseignement de quelques années, le temps, je l’espère, la fortifiera et l’agrandira. Telle qu’elle est, puisse-t-elle pénétrer dans les esprits et dans les ames, y déposer et y entretenir le goût du sens commun, sans lequel la philosophie n’est qu’une spéculation arbitraire ; le goût de la philosophie, sans lequel le sens commun n’est qu’un instinct aveugle ; le goût enfin de l’histoire de la philosophie, sans lequel le plus puissant génie, privé de l’expérience des génies qui l’ont devancé, se trouverait au XIXe siècle livré aux mêmes chances d’erreur que celui qui le premier osa penser ! N’oublions pas que, si la philosophie du XIXe siècle peut surpasser toutes les philosophies précédentes, c’est à la condition de les bien connaître, de distinguer les erreurs et les vérités qu’elles lui transmettent, de laisser tomber