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digne gentilhomme était un peu abattu par sa première campagne. Quoiqu’il se fût vaillamment comporté, cette troupe de malfaiteurs qui, sous prétexte de déjouer les menées des aristocrates, se promenait à main armée sur la frontière, l’avait rudement traité ; les plus méchans parlaient de le fusiller, lorsque Dominique Maragnon l’avait tiré de leurs mains. Il entra dans le salon et d’abord salua cérémonieusement Mme Maragnon en balbutiant quelques phrases sur le malheur des temps ; puis les larmes lui vinrent aux yeux, il embrassa sa sœur et alla vers Éléonore en s’écriant : — Ma chère nièce, je suis vraiment fort aise de vous revoir. Savez-vous que je vous trouve fort embellie ? — Sans ce digne jeune homme, ces brigands m’achevaient, ajouta-t-il en tendant la main à Dominique Maragnon ; au lieu d’être vivant et bien portant parmi vous, je serais mort, à l’heure qu’il est, et enterré au pied d’un arbre.

Mme Maragnon installa à Belveser la famille de Colobrières. Le baron fit quelque résistance ; mais on lui prouva facilement que sa sûreté exigeait qu’il attendit, pour retourner dans son château, que la contre-révolution fût accomplie. Ses autres filles, religieuses dans diverses maisons de l’ordre de la Miséricorde, vinrent retrouver, à Belveser, la mère Angélique, et formèrent comme une petite congrégation dont elle était encore la supérieure. L’oncle Maragnon arriva sur ces entrefaites. Prévoyant les évènemens, il avait restreint prudemment ses opérations commerciales, et venait attendre à l’écart le terme de cette grande crise. Le vieux négociant comprit bientôt qu’il n’avait surpris que la moitié d’un secret dans le parloir de la Miséricorde, et que l’inclination d’Éléonore pour le cadet de Colobrières n’était pas le seul empêchement à son mariage avec Dominique Maragnon. Il avait trop de jugement, trop de sagacité, pour s’obstiner à vaincre ce double obstacle, et, prévenant les intentions de son fils, il ne l’exposa pas à lui désobéir. Après avoir prévenu Mme Maragnon, il attendit un moment favorable pour expliquer sa volonté et emporter d’emblée le consentement du baron. Tandis que Dominique et les deux cousines, accompagnées de Mlle Irène, faisaient comme autrefois de longues promenades à travers champs, et allaient chercher des bouquets à l’Enclos du Chevrîer, il jouait aux boules avec le baron ou lui lisait tout haut les gazettes. Un jour, il lui lut le décret de l’assemblée constituante qui supprimait la noblesse héréditaire, les armoiries et toute espèce de distinction entre les citoyens, et, profitant de la stupeur du baron à cette nouvelle inouïe, il lui parla de la probabilité d’une inclination naissante entre Mlle Anastasie de Colobrières et Dominique Maragnon.