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La fin de l’ode semblait menacer l’amant crédule de quelque prochaine inconstance de la perfide :

Insensé qui sur tes promesses
Croit pouvoir fonder son appui,
Sans songer que mêmes tendresses,
Mêmes sermens, mêmes caresses,
Trompèrent un autre avant lui !


Mais il ne paraît pas que le pronostic ait eu son effet : Mme de Ferriol comprit vite que son crédit dans le monde et sa considération étaient attachés à cette liaison avec le maréchal-ministre, et elle s’y tint. On voit dans les lettres nombreuses que lord Bolingbroke adresse à Mme de Ferriol[1], qu’il n’en est aucune où il ne lui parle du maréchal comme du grand intérêt de sa vie. Il résulte du témoignage de Mlle Aïssé qu’il y avait dans cet état plus de montre que de fond, et que le crédit de la dame baissa fort avec l’éclat de ses yeux[2]. Tant qu’elle fut jeune pourtant, Mme de Ferriol parut fort recherchée, et elle eut rang parmi les femmes en vogue du temps. Ses deux fils, MM. de Pont-de-Veyle et d’Argental, surtout ce dernier, furent élevés avec la jeune Aïssé comme avec une sœur. Les registres de la paroisse Saint-Eustache, à la date du 21 décembre 1700, nous montrent damoiselle Charlotte Haidée[3] et le petit Antoine de Ferriol (Pont-de-Veyle), représentant tous deux le parrain et la marraine absens au baptême de d’Argental, « lesquels, est-il dit des deux enfans témoins, ont déclaré ne savoir signer. » Aïssé pouvait avoir sept ans au plus à cette date de 1700, ayant été achetée en 1697 ou 1698. L’éducation répara vite ces premiers retards. Un passage des Lettres semble indiquer qu’elle fut mise au couvent des Nouvelles Catholiques,

  1. Lettres historiques, politiques, philosophiques et littéraires de lord Bolingbroke, 3 vol. in-8e, 1808. Ces lettres sont une source des plus essentielles pour l’histoire d’Aïssé.
  2. « Tout le monde est excédé de ses incertitudes (il s’agissait d’un voyage à faire à Pont-de-Veyle en Bourgogne) ; le vrai de ses difficultés, c’est qu’elle ne voudrait point quitter le maréchal, qui ne s’en soucie point et ne ferait pas un pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considération dans le monde. Personne ne s’adresse à elle pour demander des graces au vieux maréchal… » (Lettre XV.)
  3. Elle s’appelait Charlotte, du nom de l’ambassadeur (Charles), qui fut sans doute son parrain. — Haidée, Aïssé, paraissent n’être que des variantes de transcription d’un même nom de femme bien connu chez les Turcs. La plus adorable entre les héroïnes du Don Juan de Byron est une Haidée.