moment avec elle. » S’il vous aime donc, madame, si vous le divertissez, il y a apparence qu’il vous divertit aussi, et que vous l’aimez et le voyez souvent. Eh ! qui n’aimerait pas cet homme, ce bon homme, ce grand homme, original dans ses ouvrages, dans son caractère, dans ses manières, et toujours ou digne d’admiration ou aimable ? » - Sans donc nous étendre davantage ni anticiper sur les années moins brillantes, on saisit bien, ce me semble, la physionomie du chevalier à cet âge où il est donné de plaire : brave, loyal, plein d’honneur, homme d’épée sans se faire de la gloire une idole, homme de goût sans viser à l’esprit, cœur naturel, il était de ceux qui ne sont tout entiers eux-mêmes et qui ne trouvent toute leur ambition et tout leur prix que dans l’amour.
On ne possède aucune des lettres qu’Aïssé lui adressa ; nous n’avons l’image de cette passion, à la fois violente et délicate, que réfléchie dans le sein de l’amitié et déjà voilée par les larmes de la religion et du repentir. La fille d’Aïssé et du chevalier avait deux ans ; leur liaison continuait avec des redoublemens de tendresse de la part du chevalier, qui bien souvent pensait à se faire relever de ses vœux pour épouser l’amie à laquelle il aurait voulu assurer une position avouée et la paix de l’ame. Il semblait, en effet, qu’une inquiétude secrète se fût logée au cœur de la tendre Aïssé, et qu’elle n’osât jouir de son bonheur. Les attendrissemens même que lui causaient les témoignages du chevalier étaient trop vifs pour elle et la consumaient. Elle n’aurait rien voulu accepter qui fût contre l’intérêt et contre l’honneur de famille de celui qu’elle aimait. Une sorte de langueur passionnée la minait en silence. C’est alors que, dans l’été de 1726, Mme de Calandrini vint de Genève passer quelques mois à Paris, et se lia d’amitié avec elle. Cette dame, qui, par son mariage, tenait à l’une des premières familles de Genève, était française et parisienne, fille de M. Pellissary, trésorier-général de la marine ; elle avait eu l’honneur d’être célébrée, dans son enfance, par le poète galant Pavillon[1]. Une sœur de Mme Calandrini avait épousé le vicomte de Saint-John, père de lord Bolingbroke, qu’il avait eu d’un premier lit : de là l’étroite liaison des Calandrin avec les Bolingbroke, les Villette et les Ferriol. Genève ainsi tenait son coin chez les tories et dans la Régence. Mme de Calandrini était à la fois une femme aimable et une personne
- ↑ Voir dans les Œuvres d’Étienne Pavillon (1750, tome I, page 169) la lettre moitié vers et moitié prose, adressée à Mlle Julie de Pellissary, âgée de huit ans. Dans l’une des lettres suivantes (page 175), sur le mariage de mademoiselle de Pellissary avec M. Warthon, il faut lire Saint-John et non pas Warthon.