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— Rien du tout, répondit Gaston, je n’ai rien à te faire faire ; prends cette tasse de lait, ce petit pain, et déjeune.

— Je n’ai pas faim ; la joie m’a coupé l’appétit, dit-elle en soupirant et en tournant vers le cadet de Colobrières sa prunelle verdâtre animée d’une ardeur languissante.

— Écoute, la Rousse, reprit-il alors avec une douceur mêlée d’autorité, tu ne peux rester ici : je n’ai ni le moyen ni la volonté de te garder avec moi ; mais je sais un endroit où tu vivras commodément…

— Vous me renvoyez !… s’écria douloureusement la pauvre fille.

— Un endroit où je vais tous les jours, continua Gaston.

— Et où je pourrai vous voir ? interrompit-elle encore.

— Un endroit où tu retrouveras ma sœur Anastasie, reprit-il en éludant la question. Elle sera contente de te revoir.

— Sainte Vierge ! vous voulez que j’aille au couvent ! fit la Rousse consternée, mais un peu consolée cependant par la pensée que Gaston ne l’obligeait pas à s’en aller tout-à-fait.

— Certainement ; il faut que je t’y conduise dès ce soir, répondit le cadet de Colobrières. En attendant, nous allons entendre la messe là, tout proche, à l’église de Saint-Séverin ; puis tu iras, si cela t’amuse, te promener un peu avec Lambin pour voir la ville.

Comme elle paraissait intérieurement désespérée, et qu’il était évident que le respect seul l’empêchait d’éclater en sanglots et de se révolter, Gaston entreprit de la convaincre ; il lui parla long-temps, tantôt avec autorité, tantôt avec douceur, et enfin parvint à la décider. Elle plia, et se résigna à entrer comme sœur converse au couvent de la Miséricorde.

Le soir, Gaston arriva au parloir avec la Rousse. Ni lui ni sa sœur ne s’étaient doutés de l’espèce de délation dont elle s’était rendue coupable, et qui avait eu une si grande influence sur les déterminations de leur père. Anastasie l’accueillit avec joie, et fut fort touchée de la marque de dévouement qu’elle venait de donner à Gaston. La mère Angélique consentit sans difficulté à la recevoir dans le couvent, et, avant de la remettre aux mains de la sœur converse qui devait l’introduire dans la maison, on la garda un moment au parloir. Anastasie l’interrogea minutieusement sur ce qui s’était passé au château et dans tout le pays depuis son départ, elle demanda des nouvelles de tous les villageois qu’elle voyait le dimanche à la messe, et s’informa tel évènemens survenus dans toutes les familles ; mais ce ne fut qu’au dernier instant, lorsque la Rousse allait quitter le parloir, quelle lui dit avec une émotion contenue, presque en tremblant : — Et ma cousine, Mlle Éléonore Marognon, peux-tu me donner aussi de ses nouvelles ?